Les sons du Japon "musiqués" par Le Bars, un chouchou de Béjart
article AFP, par Karyn POUPEE
Une Nippone en extase vocale devant les cerisiers en fleurs, un préposé des chemins de fer déclamant le nom des gares, une vendeuse de "rêves" qui harangue les passants: les sons singuliers du Japon n'ont pas échappé au compositeur fétiche de feu Maurice Béjart, Hugues Le Bars, qui les a "musiqués" pour la postérité alors que lui-même lutte pour la vie.
Les quadragénaires français se souviennent du générique de l'émission "La grande famille" (Canal +) avec une voix d'enfant "poum chack", les plus jeunes ont en tête les musiques du dessin animé Oggy et les cafards.
D'autres se rappellent encore des mélodies de publicité et paroles orchestrées de Sonia Rykiel, André Malraux ou Eugène Ionesco, voire les bandes originales des films "Les Côtelettes" de Bertrand Blier, "Saint-Jacques… La Mecque" de Coline Serreau ou "Les Confessions d'un barjo" de Jérôme Boivin.
Toutes ces compositions sont du même auteur, dont on a souvent entendu les créations sans même connaître son nom: Hugues Le Bars.
En 2000, cet éclectique héritier de Pierre Henry se rend au Japon, un pays que lui avait souvent vanté Maurice Béjart et dont les habitants le lui rendaient bien.
Hommes de son, Le Bars a d'emblée été saisi par l'ambiance particulière japonaise: "parce que les paysages, les couleurs, les bruits, les annonces, les timbres de voix sont différents".
"Je ne comprends rien, mais cela m'évoque tellement de choses, tellement de sensations nouvelles, de possibilités, c'est le rythme, tu entends, c'est ça qui compte", disait alors ce poète quinquagénaire avec une fraîcheur quasi enfantine.
Il enregistra tout et partout. Ce qu'il en ferait, il n'en savait alors rien. Mais quelque temps plus tard, une partie de ces sons "deviennent" musique, et cela donne quelque chose de troublant, d'émouvant pour qui a un jour séjourné dans l'archipel ou y vit.
Un titre est sorti, "Massay Massey": ça ne veut rien dire en japonais, mais c'est ainsi que Le Bars l'a entendu. C'est juste une vendeuse de tickets de loto nippon, le "takarakuji", enregistrée à Yurakucho, au coeur de Tokyo, qui prétend offrir au chaland "un passeport pour le rêve".
D'autres voix et bruits sont aussi devenus notes et chansons (sur un rare cerisier qui fleurit de trois couleurs en même temps, sur les stations le long de la plus célèbre ligne de train de Tokyo, la Yamanote), mais tout cela attend depuis des années car, car entre-temps, la maladie s'en est mêlée: un cancer pulmonaire, puis une encéphalite qui le cloue dans une maison de repos à quelques kilomètres de son domicile... et de son studio, en banlieue parisienne.
Très diminué, il ne peut plus composer et encore moins sortir pour promouvoir sa musique. Alors c'est sa femme Marie qui se bat pour que ses créations sonores inédites soient éditées et ne soient pas perdues.
Quand on est enseignante, négocier avec des maisons de disques, des distributeurs, bref, avec le show-biz, n'est pas une mince affaire. Mais pourtant elle s'accroche mordicus et c'est en très bonne voie.
"Je souhaite que tous ceux qui aiment la musique d'Hugues, qui l'ont connu en pleine forme, qui l'ont parfois sollicité, ne l'oublient pas aujourd'hui, au moment où il a le plus besoin d'aide, le plus besoin d'eux".
"Ettoo (titre de l'album qui devrait sortir dans quelques semaines) a bien sûr beaucoup de rapport avec le Japon, mais pas seulement... Il y a dedans Hugues et ses questionnements, angoisses et fous rires", confie encore à l'AFP Marie Le Bars.
Et de poursuivre: "c'est comme s'il avait tout mis dans ses dernières musiques, avant de fermer son esprit".
Si les musiques de Le Bars pour des chorégraphies de Béjart ont marqué les spectateurs par leur côté toujours novateur, déjanté parfois, surprenant le plus souvent, celles venues du Japon et dont l'écoute y renvoie instantanément, auront un impact saisissant sur tous les japonisants, voyageurs et amoureux du pays du Soleil-levant.
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