Imprévisible Ryuichi Sakamoto...
Tokyo, Alva Noto, égolo et Rokkasho
Comme il est indiqué sur son succinct profil, l'auteur de ce blog a un léger faible pour la musique en général, et en particulier pour celle des compositeurs français Hugues Le Bars et japonais Ryuichi Sakamoto.
Les oeuvres du premier, qui rythment les chroniques audio de ce site (avec son aimable autorisation), vous sont désormais familières, pour peu que vous soyez un auditeur régulier. Sinon, bienvenue au fan club de Le Bars.
Les musiques du second, Ryuichi Sakamoto, ne vous sans doute pas inconnues non plus, même si son nom ne vous dit peut-être rien. Mais il y a fort à parier que vos oreilles ont déjà été titillées par son morceau le plus célèbre, "Merry christmas Mr Lawrence", tiré de la bande originale du film du même nom, long métrage de Nagisa Oshima, avec David Bowie, Takeshi Kitano et Sakamoto en personne, film rebaptisé "Furyo" dans sa version française.
Pourquoi vous parle-ton de Sakamoto en ce début novembre 2006? Eh bien tout simplement parce que cette star au Japon vient de nous offrir une très belle série de concerts à Tokyo, avec la complicité du musicien allemand Alva Noto, pseudonyme de Carsten Nicolai.
Et une tournée Sakamoto, désormais résident new yorkais, sur ses terres natales, c'est toujours un événement à ne rater sous aucun prétexte.
Eclectique s'il en est, Sakamoto, "SKMT" pour les intimes, offre toujours un spectacle, une oeuvre, des sons différents et surprenants à chacune de ses prestations.
L'homme, aussi agile avec le clavier d'un Steinway qu'avec celui d'un Mac, est capable de passer du piano classique à la techno la plus déjantée, en faisant un détour par des improvisations de musiques contemporaines troublantes.
Les trois concerts "Insen" tokyoites de Sakamoto et Alva Noto les samedi 28 dimanche 29 et mardi 31 octobre 2006 s'inscrivait dans la série de ceux donnés précédemment en Europe, et notamment à Paris.
Ambiance froide mêlant piano (Sakamoto) et sonorités irréelles de son jeune complice Alva Noto, ces spectacles audio et vidéo sont indescriptibles, les mots peinant à retranscrire les sons, et leur reproduction sonore interdite sur ce blog. Il fallait donc y être pour ressentir et apprécier cette atmosphère "sakamotesque" du moment, laquelle n'avait rien de commun avec les deux autres séries de concerts donnés au Japon par Sakamoto en 2005. Il nous avait alors conviés à une sorte de rétrospective de ses musiques les plus connues (en août) puis à un concert "piano solo" en décembre.
Touche à tout, Sakamoto, est un avant-gardiste permanent de l'électroacoustique, un défricheur constant de nouvelles tendances, un explorateur insatiable de l'inédit, qui oeuvre seul ou au gré des collaborations depuis plusieurs décennies après des débuts dans le fameux trio YMO (Yellow Magic Orchestra).
Hier dandy, Sakamoto, toujours aussi séduisant malgré ses 50 ans passés, est désormais un "artiste engagé" qui accompagne son art de causes militantes pour la préservation de l'environnement.
Si les concerts "Insen" n'étaient cette année pas ponctués de tirades sur les dégâts provoqués par l'homme sur "dame nature", comme ce fut le cas en 2005, SKMT avait néanmoins convoqué à la sortie des salles des vendeurs d'écobag (sacs en tissu réutilisables pour faire ses courses au supermarché) .
Car l'homme s'est pris de passion (le mot est faible) pour le concept LOHAS (Life of health and sustainability - pour une vie saine et durable): il vante dès lors tous les produits s'inscrivant dans cette philosophie, qui est à la fois écolo mais aussi, selon SKMT, "égolo", comprenez par là, qu'elle invite ses tenants à se préoccuper d'abord de la qualité leur propre environnement ce qui par voie de conséquence bénéficie à celui des autres.
Lors de ses concerts en 2005 au Japon, SKMT avait ainsi choisi des salles alimentées par énergie renouvelable (éolienne et hydraulique) et décidé de minimiser la consommation électrique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Des vidéos projetées en fond de scène remplaçaient les rangées de spots voraces en kilowatts. Le spectacle n'en a nullement visuellement souffert, au contraire. Et chaque soir, SKMT vantait la prouesse, faisant de surcroît au passage la promo d'un système "révolutionnaire" capable de stocker de l'énergie, et dont un spécimen était place sous son piano.
Qui sait comprendre et lire le japonais remarquera aussi les nombreuses interventions de Sakamoto sur ces sujets dans les magazines nippons.
Inutile? Que nenni.
De nombreux fans suivent leur idole dans sa louable croisade qui a précédé celle d'Al Gore (ex candidat à la présidence des Etats-Unis qui balade son film sur le réchauffement climatique à travers le monde). Cela se traduit au quotidien par une modification des mauvaises habitudes. Outre le fait qu'au Japon tout le monde trie ses déchets, ceux qui ont écouté SKMT vont plus loin.
Ils refusent par exemple les monceaux de sacs en plastique des supermarchés et font leurs emplettes avec un ecobag en tissu. Ils donnent leur matériel audiovisuel et informatique hors d'usage ou devenu inutile aux entreprises spécialisées dans la revente ou le recyclage. Et comme au Japon tout est généralement plutôt bien organisé, ce n'est pas si compliqué. Des camionnettes sillonnent en effet régulièrement les rues de Tokyo pour récupérer gratuitement les appareils foutus. Par ailleurs, des comptoirs de rachat de matériel sont présents dans plusieurs hypermarchés de l'électronique qui permettent de se débarrasser facilement du vieux matos et de grappiller quelques milliers de yens au passage.
Lors de l'instauration cette année d'une nouvelle loi interdisant la vente de matériel ne portant pas un label de sécurité électrique (PSE), mesure qui risquait d'handicaper le marché de l'occasion et de relancer l'encombrement des décharges, SKMT s'était aussi mobilisé, avec succès, pour que le gouvernement fasse des exceptions à cette drastique règle.
De même est-il aujourd'hui en première ligne parmi les opposants à la mise en service d'une usine de traitement de déchets nucléaires qui doit entrer exploitation commerciale mi-2007 dans le nord du Japon, à Rokkasho (préfecture d'Aomori).
Cette usine, bâtie sur le modèle de celle de La Hague en France, avec la complicité du groupe hexagonal Areva, doit produire de la poudre de Mox (mélange d'uranium et de plutonium) à partir de combustible nucléaire usé.
Sakamoto, qui se souvient que le Japon a été le seul pays touché par la bombe atomique, s'oppose par principe à toute manipulation de produits radioactifs redoutant d'une part les accidents et d'autre part l'utilisation de matériaux dangereux à des fins terroristes ou militaires.
Même si en théorie la production d'électricité par des réacteurs nucléaires est moins génératrice de gaz à effet de serre (CO2) que les autres types de centrales, les matières qui y sont employées sont sources de risques plus élevés encore, plaide-t-il.
Sakamoto a donc lancé un mouvement mondial, "STOP ROKKASHO", dans le but de rameuter un maximum d'artistes et d'anonymes pour miner ce projet d'usine. Il s'agit de créer, sous licence "creative commons" des musiques, des vidéos ou d'écrire des textes et de les mettre en ligne pour les faire circuler au maximum accompagnés d'un logo "STOP ROKKASHO".
Avis aux amateurs...
Commentaires
Lien croisé
En direct de Tokyo : "Les entreprises nippones sont toujours en forme .." rel="nofollow"
anonyme - 13.11.06 à 14:08 - # - Répondre -
Son combat contre le projet Rokkasho témoigne de son influence au-delà de la musique. Bravo pour cet hommage.
anonyme - 19.08.24 à 21:33 - # - Répondre -