Japon: le téléphone portable, un ersatz de livre prometteur...
...mais qui ne ne remplace pas un bon bouquin.
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Petit problème mathématique:
Enoncé:
Photographiez un groupe de dix personnes dans une des innombrables rames de trains intra-muros et métros de Tokyo. Vous en compterez en gros un tiers les yeux fermés, un tiers les yeux rivés sur l'écran de leur téléphone mobile et un tiers les yeux plongés dans un livre, un magazine, un journal ou une des publicités pendant du plafond.
Question: combien lisent?
Réponse:
plus de la moitié des passagers.
Eh oui, car outre le tiers qui lit un support imprimé, parmi le tiers ayant les yeux rivés sur le mobile au moins un sur deux lit aussi, soit un mail, soit un article sur un site mobile soit un livre électronique. Résutat: 33% + 17%= 50%
Car c'est un fait, les Japonais, 127 millions d'âmes, sont parmi les plus voraces lecteurs du monde. Les quotidiens, qui pour la plupart sortent deux éditions par jour, tirent à 70 millions d'exemplaires chaque aube venue, dont plus de 10 millions pour le seul Yomiuri Shimbun, le plus important journal du monde en termes de tirages.
Quelque 75.000 ouvrages sortent en moyenne chaque année, soit plus de 200...par jour. On trouve en rayon environ 700.000 références à feuilleter dans environ 10.000 librairies sur l'Archipel.
Fort logiquement, via la démocratisation des téléphones portables, PC, assistants numériques, dictionnaires électronique et autres engins numériques, les façons de dévorer ces nourritures plus ou moins intellectuelles changent.
Même si la lecture d'ouvrages sur ces nouveaux supports électroniques est encore loin d'être aussi massive que celle des livres traditionnels, une tendance à manger moins de papier se dessine néanmoins, qui se traduit par un nombre grandissant de publications hybrides papier/numérique. Il existerait environ 60.000 références de ce type.
Au Japon, les terminaux privilégiés pour la lecture électronique sont sans l'ombre d'un doute le téléphone portable d'une part, et le PC d'autre part, très loin devant les "livres électroniques" du type de ceux développés par Sony (Librié), Toshiba et Matsushita (Sigma Book).
De fait, de nombreux sites pour PC et/ou téléphones mobiles ont vu le jour au Japon. Ils sont disponibles sur les portails des trois principaux opérateurs mobiles (NTT DoCoMo, KDDI et Softbank Mobile) de même que sur internet.
On trouve par exemple une cinquantaine de sites/librairies officiels sur le portail de KDDI, classés par types d'ouvrages.
L'un des plus importants proposent près de 5.000 référence pour mobiles et dix fois plus pour PC.
La plupart des ouvrages sur mobiles sont des romans de gare, des manga, des livres de conseils pratiques, bref des lectures faciles pour tuer le temps dans les transports publics. Les ouvrages de photos tendancieuses y sont également sur-représentés qui ciblent un public de "salarimen" lecteurs des tabloïds moyennement recommandables et magazines ou manga du même accabit.
Sur tous les sites mobiles, les contenus sont bien entendu payants (de un euros à plus de 10 euros selon l'ouvrage), certains exigeant en plus un abonnement mensuel (2,5 euros).
Si le téléphone portable s'impose devant les assistants numériques ou livres électroniques, c'est qu'il permet à la fois de sélectionner, acheter, télécharger et lire les ouvrages n'importe où et n'importe quand.
Le livre électronique souffre par comparaison de plusieurs handicaps: il est plus imposant, ne dispose pas de fonctions intrinsèques de communication, ni de système de paiement direct, et requiert donc obligatoirement l'usage combiné d'un ordinateur.
La limite de mémoire dont souffrait initialement le téléphone portable n'est aujourd'hui plus vraie. Il est en effet d'ores et déjà possible de loger dans les téléphones des cartes de 2 gigaoctects (Go), soit des centaines voire des milliers de livres.
De surcroît, habitués à lire et écrire de longs e-mails sur leurs "keitai" (mobiles), ou à parcourir les pages de très petits livres de poche, les Japonais ne considèrent pas comme un problème la surface limitée des écrans des mobiles, d'autant que la taille des caractères est ajustable et que le défilement est automatique pour qui le souhaite.
L'écriture nippone, qui mixe kanji et syllabaires, sans espaces, s'adapte plus facilement à ces supports que l'écriture alaphabétique.
S'ajoute à cela le fait que les ouvrages numérisés proposés pour les mobiles sont vendus moins chers que leurs équivalents imprimés. Sans compter que de nombreux extraits de livres sont parfois proposés gratuitement.
A vrai dire, le Librié de Sony est presque un flop commercial au Japon, même si techniquement il est par certains côtés révolutionnaire.
L'auteur de ces lignes, qui en possède un depuis son premier jour de commercialisation, doit piteusement avouer ne quasiment pas s'en servir. Le logiciel sur PC est peu pratique, les commandes très lentes, tout comme le raffraîchissement d'écran, le chargement, et la navigation de façon générale. Bref, le concept est intéressant, mais à notre humble avais, très loin d'être abouti.
Un assistant numérique comme la série "Zaurus S" de Sharp, qu'on peut aussi tenir comme un livre, avec sa molette latérale de défilement, son écran tactile à cristaux liquides d'excellente définition, est, il faut le dire, 1000 fois plus pratique.
Sony a de plus choisi un format propriétaire qui limite l'offre, même si le site associé dispose d'une offre assez riche en location ou achat. Notons également que le mode noir et blanc constitue aussi un handicap pour certains types d'ouvrages qui sont plus attractifs et plus lisibles en couleurs, ce que ne permet pas encore facilement l'encre électronique mais que réussit parfaitement la technologie LCD.
Bref, il est clair qu'au Japon, le téléphone portable est le support électronique de lecture qui a de loin le plus de potentiel.
Le PC n'est pas mal placé non plus. Grand écran couleur, téléchargement direct, fonctions interactives, et largesse de l'offre (jusqu'à 55.000 ouvrages sur les sites les mieux approvisionnés) sont ses principaux points forts.
Les librairies électroniques proposent en outre à leurs abonnés une fonction appelée "tachiyomi", littéralement "lire debout", laquelle correspond à l'habitude des Japonais de rester des heures devant les gigantesques rayons dans les lieux de ventes de livres ou magazines (librairies, konbini) pour en parcourir des pages avant d'acheter.
Les larges extraits proposés ainsi gratuitement aux abonnés sont assurément un des facteurs qui dopent les ventes. Les magazines l'ont compris qui offrent aussi certains de leurs articles sur ces mêmes sites en guise d'hameçon.
Car il est clair que si un livre plaît, on ne le lit pas intégralement sur le site pas plus que dans la librairie, on l'achète, pour le posséder. Il est même fort possible que les lecteurs de livres électroniques ne se contentent pas de cette forme lorsqu'un bouquin les a vraiment emballés. Le posséder vraiment, c'est l'avoir concrètement, c'est à dire sous forme imprimée.
En effet, si les Japonais sont certes technophiles, ils sont tout autant matérialistes et fétichistes. De même que les acheteurs de musiques en ligne nippons continuent de s'offrir les CD de leurs artistes préférés même s'ils en ont téléchargé tous les titres sur leur téléphone portable, les lecteurs sur supports électroniques continueront sans nul doute de fréquenter les librairies ayant pignon sur rue et d'en ressortir avec un bon gros lot de bouquins.
Dernières nouvelles:
A noter que le mardi 26 septembre 2006, quelques jours après la rédaction de ce papier, Matsushita (Panasonic) a annoncé la commercialisation avant fin 2006 au Japon d'un nouveau livre électronique, après son Sigma Book lancé en 2004 qui fut un flop commercial.
Baptisé "Words Gear", le nouvel appareil, au format de livre de poche, permet de lire des livres ou magazines, d'écouter de la musique, de regarder des photos ou des vidéos stockés sur carte-mémoire au format SD.
Il dispose d'un large écran à cristaux liquides et d'une interface à quatre capteurs sensoriels sur le côté qui permettent d'effectuer toutes les manipulations d'une seule main (choix de livre, changement de page, modification de la taille des caractères...).
Ce terminal sera proposé aux alentours de 40.000 yens (270 euros). Pour le moment, il n'est pas prévu de le commercialiser hors du Japon.
Dans le même temps, Matsushita, le groupe d'édition Kadokawa et le mastodonte audiovisuel TBS proposeront plusieurs librairies virtuelles (livres et autres contenus multimédias) destinées à la fois au nouveau terminal Words Gear, mais aussi et PC et téléphones portables.
Par ailleurs, un éditeur lancera prochainement sur le marché japonais des mangas et autres livres sur cartes lisible sur la console de jeux vidéo portable DS (voir aussi reportage au Tokyo Game Show)
Commentaires
étonnée
Je suis japonaise tout comme vous, je vie en France, et je lis depuis quelques temps votre blog très sympa mais j'ai du mal a vous comprendre, votre vision est très spéciale pour une journaliste, j'adhere peu a ce que vous dite, peut être ai je tord !!!
je vous remercie pour ce blog qui est tout de même très sympa !
Sakura - 11.09.06 à 04:57 - # - Répondre -
← Re: étonnée
Merci Sakura pour votre message. J'aimerais toutefois que vous me disiez plus précisément ce qui vous étonne dans le regard que je porte sur le Japon et sur vos compatriotes.
Sachez en outre que, même si je suis journaliste, ce blog est réalisé à titre personnel. Autrement dit j'y exprime un avis, tout-à-fait subjectif, ce que je ne fais pas par ailleurs lorsque j'écris pour la presse.
Amicalement
KPoupee
kpoupee - 11.09.06 à 13:38 - # - Répondre -
← Re: Lire debout
Oups. C'est corrigé.
Merci.
kpoupee - 14.09.06 à 01:46 - # - Répondre -
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ebook | Cluster21 : la communauté du digital, des médias à la e-démocratie... : "Elle nous livre sur son blog podcast En direct de Tokyo un intéressant et illustré panorama de l’usage des appareils électroniques de lecture par nos amis Japonais, sous le titre : Japon, le téléphone portable, un ersatz de livre prometteur." rel="nofollow"
anonyme - 11.09.06 à 22:48 - # - Répondre -
Super Article
Je viens de découvrir votre blog par le plus grand des hasards. Laissez moi vous dire qu'il est original et m'enrichis culturellement. Ainsi, je peux tenter de comprendre votre mentalité. Je suis quelqu'un de très ouvert. L'idée de raconter votre vie à Tokyo sur un blog est géniale.
En ce qui concerne l'article, que je trouve très bien écrit, il me reste à vous dire qu'on n'est pas d'accord sur tous les points. Votre opinion est très convainquante, malgré tout.
Passer une bonne fin de semiane, votre nouveau lecteur Edi.
P.S : je vous ai mis dans ma liste de blog.
Edi - 15.09.06 à 18:32 - # - Répondre -
← Re: Super Article
Bienvenue, Edi.
J'espère que les futurs articles vous plairont tout autant et nous donneront à nouveau l'occasion de débattre.
Dans les prochaines semaines, nous parlerons entre autres de trains, de jeux vidéo, d'une nouvelle bulle en puissance (??), des Japonaises rebelles, de celles qui assument leur âge (et s'en félicitent), et de leurs compagnons qui fréquentent de plus en plus assidûment les centres d'esthétique....
Amicalement
Karyn Poupee
kpoupee - 16.09.06 à 04:34 - # - Répondre -
Dernier mot
Je voulais juste vous dire que j'ai parcouru pas mal de billet, je les ai surtout écouté avec une certaine admiration votre voix douce et agréable, et j'ai constaté que je ne fus aucunement ennuyé. Superbe travail que vous faîtes, continues seulement ainsi.
Edi - 17.09.06 à 21:03 - # - Répondre -
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La feuille : " Excellent billet (très illustré) de Karyn Poupée, en direct de Tokyo, sur les livres électroniques pour portables au Japon. "Si le téléphone portable s'impose devant les assistants numériques ou livres électroniques, c'est qu'il permet à la fois de sélectionner, acheter, télécharger et lire les ouvrages n'importe où et n'importe quand." rel="nofollow"
anonyme - 22.09.06 à 16:58 - # - Répondre -
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urbanbike, notes sans commentaires : "Et comme j'ai mauvais esprit, j'ai rapproché cette information d'une autre, celle du non démarrage des readers Sony au Japon, pays où l'on lit pourtant énormément… (Merci à Hubert Guillaud). " rel="nofollow"
anonyme - 25.09.06 à 15:23 - # - Répondre -
Le livre électronique
Les problèmes majeurs de l'outil livre électronique passe par ses fonctionnalités. J'en avais parlé dans un billet sur le monde du livre. Notamment j'abondais dans le sens où un livre avec moyens de protection technique et non possibilité de provoquer l'achat instantanné ne marcherait pas.
Dans un monde de connaissances connectées, retourner sur des paradigmes de jardins clos est quelque peu suicidaire.
Bon billet de Karine, que je découvre grâce à la feuille.
karl - 26.09.06 à 09:27 - # - Répondre -
Petite question et remerciement
Bravo Karyn pour ce blog que j'écoute en podcast durant mes trajets quotidiens. Les articles sont vraiments détaillés et complets, c'est un régal.
Ma petite question : Y a t-il au Japon des journaux d'informations (infos non digérées) gratuits du type 20minutes ou Métro que beaucoup de gens lisent ?
Bonne continuation !
Dicoca - 29.09.06 à 01:28 - # - Répondre -
← Re: Petite question et remerciement
Merci pour ces compliments, fort agréables à lire au demeurant. Assurément, ça encourage à poursuivre en dépit d'un agenda par ailleurs bondé.
Réponse à votre question: non, il n'y a pas à ma connaissance au Japon (en tout cas pas à Tokyo) de quotidien d'informations généraliste gratuit équivalent de 20 minutes ou Metro en Europe. En revanche, il existe une floppée de magazines distribués gratuitement aux passants dans les rues, qui sont surtout des publications mêlant annonces (logements, emplois), pseudo-articles, coupons de réduction en tous genres et pubs. Ceci dit, la presse magazine payante, notamment féminine, n'est pas toujours plus intéressante qui s'assimile à mon goût dans nombre de cas à des catalogues de vêtements, produits de soins/beauté et accessoires de mode, sans oublier les recettes de cuisine (clichés, quand tu les tiens). Bien difficile d'y dénicher des articles et reportages dignes de ce nom. Les magazines pour la gent masculine sont souvent plus variés et plus informatifs, mais on y trouve aussi des publications inintéressantes qui véhiculent les habituels stéréotypes. Il existe néanmoins dans l'incroyable masse de titres des hebdomadaires ou mensuels fort bien conçus et passionnants (Nikkei busines, Nikkei Woman, Courrier Japon...).
A noter enfin que les quotidiens nationaux, qui tous confondus tirent chaque jour à environ 70 millions d'exemplaires, avec le plus souvent deux éditions par jour du lundi au vendredi sans interruption le week-end, sont généralement politiquement orientés, mais fort bien documentés.
La bible des milieux industriels et économiques, le Nihon Keizai Shinbun (Nikkei) s'offre même le luxe de plusieurs scoops par semaine, ce qui d'ailleurs ne cesse de m'interroger sur la façon dont les journalistes de ce quotidien incontournable se les procurent....
Amicalement
K. Poupée
kpoupee - 01.10.06 à 03:56 - # - Répondre -
← question littératture, podcast et mobile
Bonjour,
Je suis contente de tomber ici, via un article publié par La feuille (Hubert Guillaud 6/08/2007).
Merci pour toutes ces informations passionnantes. Je me demandais s'il existe aussi des opérateurs téléphoniques qui proposent des feuilletons littéraires sous format audio via GSM ? Je rêve de publier mes nouvelles radiophoniques (lues à la RTBF et podcastées sur mon site http://www.valerienimal.be/podcast/) sur d'autres plateformes comme le mobile. J'imagine que mes histoires courtes pourraient s'écouter sur un portable. Bref, plutôt que de lire des nouvelles, les écouter. Beaucoup de personnes non voyantes m'en ont déjà fait la suggestion. Merci encore et à bientôt.
VN - 11.06.07 à 22:17 - # - Répondre -
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My mobiBlog: On en parle ici et ailleurs, le livre sur mobile! : "fameux mangas japonais, les épisodes littéraires... semble peut être pertinent. En tout cas, les éditeurs ont de l'imagination. Il reste à trouver les modèles économiques viables en Europe.Pour savoir plus sur les livres sur mobile et ce qu'il se passe au Japon sur les "Keïtaï" (téléphones mobiles en japonais) ... écouter un podcast très bien fait en direct de Tokyo! ici" rel="nofollow"
anonyme - 04.10.06 à 17:36 - # - Répondre -
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Irène Delse, un blog d'écrivain: 150 questions sur l'édition, version e-book : "rs. Exemple : la difficulté de "feuilleter" les textes, comme de vrais livres. Il y a en bas de l'écran 10 boutons permettant de sauter ou de reculer par palier de 10%, ce qui ne correspond pas à une utilisation de lecture normale ! On préfèrerait plutôt une molette permettant de faire défiler les pages... Comme on en trouve sur certains assistants numériques (ou PDA) et téléphones portables !" rel="nofollow"
anonyme - 08.10.06 à 06:11 - # - Répondre -
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La feuille: Le téléphone portable vs. le livre électronique : " Excellent billet (très illustré) de Karyn Poupée, en direct de Tokyo, sur les livres électroniques pour portables au Japon. "Si le téléphone portable s'impose devant les assistants numériques ou livres électroniques, c'est qu'il permet à la fois de sélectionner, acheter, télécharger et lire les ouvrages n'importe où et n'importe "
anonyme - 09.01.07 à 17:25 - # - Répondre -
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Lafeuille: septembre 2006 : "Excellent billet (très illustré) de Karyn Poupée, en direct de Tokyo, sur les livres électroniques pour portables au Japon. "Si le téléphone portable s'impose devant les assistants numériques ou livres électroniques, c'est qu'il permet à la fois de sélectionner, acheter, télécharger et lire les ouvrages n'importe où et n'importe "
anonyme - 03.03.08 à 08:03 - # - Répondre -
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septembre 2006 – La Feuille : " Excellent billet (très illustré) de Karyn Poupée, en direct de Tokyo, sur les livres électroniques pour portables au Japon. "
anonyme - 18.09.18 à 07:01 - # - Répondre -