Au pays des "jishin", les gratte-ciel tanguent...
... mais ne rompent pas
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"Un séisme de magnitude 4,8 sur l'échelle ouverte de Richter a secoué jeudi après-midi la région de Tokyo, il n'y a pas de risques de tsunami."
"Le tremblement de terre s'est produit à 17H18 (08H18 GMT).
Son hypocentre a été localisé dans la baie de Tokyo, à 70 km sous le fond de la mer."
Cette annonce télévisée date de jeudi 31 août 2006 après-midi. Un forte secousse tellurique venait de faire tanguer les innombrables gratte-ciels de Tokyo.
Dans le bureau de presse dans lequel travaille l'auteur de ce blog, au huitième étage d'un récent building, c'est un photographe japonais qui le premier a réagi: "jishin".
De fait, les étagères d'archives se sont simultanément mises à trembler produisant un vacarme inhabituel.
La nature étant d'une perversité déconcertante, cette secousse, qui n'était ni la première ni la dernière de la journée sur l'Archipel, est survenue la veille de la journée de commémoration des désastres, le 1er septembre, date anniversaire du terrible séisme qui avait ravagé l'agglomération de Tokyo et la région environnante du Kanto en 1923 faisant quelque 142.000 morts.
Cette journée "bousai no hi" est notamment consacrée à des exercices de secours à grande échelle dans tout le Japon.
Jeudi 31 août, l'Agence de la météréologie nationale, chargée de surveiller en permanence les caprices terrestres, avait recencé quatre fortes secousses de magnitude allant 3,4 degrés à 4,8 degrés dans l'archipel.
Le 1er septembre, elle en dénombrait trois autres, sans compter les très nombreuses vibrations que les capteurs sensibles perçoivent mais pas les hommes .
Et c'est comme cela tous les jours au Japon. Le pays du Soleil-Levant, à la jonction de quatre plaques tectoniques, enregistre en effet environ 20% des tremblements de terre les plus forts recensés chaque année dans le monde.
Le grand public l'ignore souvent à l'étranger, mais Tokyo est secouée chaque année par de nombreux tremblements de terre qui ne font pas la une des JT hors des frontières du Japon, car ils ne font en général ni victimes ni dégats.
Celui de jeudi 31 août 2006, de magnitude 4,8, s'est ainsi soldé par l'arrêt d'ascenceurs retenant prisonnière pendant deux heures une jeune japonaise dans le quartier de Shibuya et un autre individu à Shinjuku. Bref, pinuts, des broutilles. Anecdotique.
Tokyo, la plus grande agglomération du monde, dans laquelle gravitent jusqu'à 35 millions d'individus, est néanmoins en permanence à la merci d'un tremblement de terre dévastateur de magnitude supérieure à 7 sur l'échelle ouverte de Richter qui peut survenir à tout moment.
On estime à 70% les chances pour qu'une telle secousse tellurique se produise dans les trois décennies à venir.
Selon les dernières études officielles, si un tel séisme se produisait en hiver en début de soirée à l'heure de pointe, au moment des transhumances quotidiennes de "salarimen", étudiants et écoliers, il pourrait faire jusqu'à 13.000 morts et empêcher 6 millions d'individus de regagner leur foyer.
De fait, les Tokyoïtes sont-ils en permanence invités à se préparer. Les kits de survie, les radios, lampes de poche et chargeurs à manivelle se vendent comme des petits pains, surtout le lendemain d'un nouveau fort séisme.
L'un des best-sellers de l'année 2005, et qui continue de trôner dans les vitrines des librairies, n'est autre qu'un plan ultra-détaillé de Tokyo pour "rentrer chez soi à pied en cas de séisme".
On y trouve, outre l'intégralité des voies et constructions, les détails sur tous les points d'eau, toilettes publiques, hopitaux, postes de police, bancs publics (pour se reposer)...
On a de fait constaté une ruée sur ce type d'ouvrages et de produits après le tremblement de terre de Niigata (centre/nord-Ouest) fin 2004 qui a fait plus de 50 morts et dévasté la région.
En outre, depuis le tragique tremblement de terre de Kobé (Ouest) en 1995 qui a fait plus de 6.400 victimes et endommagé un demi-million d'habitations et bureaux, les "forts en techniques" Nippons ont déployé des trésors de technologies, en germe à l'époque, pour ériger des constructions antisismiques et capables de ne pas être soufflées par les violents typhons.
Montés sur verrins, sur ressorts, sur ou rails, trempés dans une cuve pleine d'eau, soutenus par des amortisseurs ou haubans, ou reposant sur d'imposants "boudins" en caoutchouc, les immeubles nippons qui défient la nature par leur hauteur (jusqu'à 300m), répondent en effet à des normes drastiques.
Selon un professeur d'architecture de l'Université de Tokyo, la tragédie de Kobe a été un tournant. C'est à partir de ce moment que le nombre de nouvelles constructions parasismiques a considérablement augmenté et que les techniques de rénovation d'immeubles existants ont commencé d'être mises en oeuvre.
Autrement dit Kobe a coïncidé avec l'arrivée à maturation de techniques qui auparavant n'existaient pas.
Gratte-ciel de bureaux, tours résidentielles, usines, centrales, gares, ponts, barages, tous les bâtiments et infrastructures sont concernés.
"Roppongi Hills" (241 mètres, 290.000 tonnes), l'un des gratte-ciel commerciaux les plus modernes et les plus fréquentés de Tokyo est ainsi érigé sur quelque 356 verrins à huile actifs qui compensent les mouvements.
Lors des tremblements de terre, les immeubles se déforment puisque les fondations bougent. Plus ils sont hauts, plus la déformation est importante. Les systèmes d'isolation, placés entre les fondations et les structures de colonnes de l'immeuble, permettent d'atténuer ou de supprimer ces déformations
Le choix des technologies dépend de la hauteur, du poids et de l'architecture des immeubles, ainsi bien sûr que du coût.
Les boudins en caoutchouc, dont le fabricant de pneus japonais Bridgestone a fait sa spécialité, font parties des techniques les plus prisées du moment, de même que les amortisseurs à huile.
Les recherches se poursuivent toutefois afin de réduire les investissements requis et rendre ces techniques accessibles à davantage de promoteurs et propriétaires.
On considère en effet qu'il reste environ 10.000 immeubles collectifs à Tokyo qui ne sont pas adaptés aux nouvelles normes, révisées en 2000, et sont donc susceptibles de s'effondrer si le "Big one" survient avant qu'ils n'aient été renforcés.
Pour avoir une idée plus précise des risques qu'ils encourent, les Japonais peuvent aussi désormais se connecter à un site du groupe d'électronique japonais Hitachi qui s'adresse principalement aux Tokyoïtes et propose des outils interactifs permettant à chacun de mesurer les dégâts probables en cas de séisme.
Grâce à un petit programme très simple, développé avec un chercheur spécialisé
de l'Université de Nagoya, on peut par exemple dresser en deux
dimensions les plans de sa maison, y placer du mobilier, y
positionner des individus et secouer le tout selon différentes
magnitudes pour constater les dégâts.
Face à cette situation particulière, le Japon a également déployé des technologies pour informer les populations immédiatement après les séismes.
Ainsi comme cela s'est produit jeudi 31 août, la chaîne publique NHK a immédiatement stoppé ses programmes pour relayer les informations délivrées sur le champ par l'Agence de la météo nationale.
La NHK dispose aussi d'un réseau national de caméras placées à des carrefours stratégiques des villes, près des infrastructures essentielles et dans ses bureaux locaux. Ces caméras se déclenchent automatiquement pour filmer la scène en cas de secousses et adressent les images au centre de la chaine à Tokyo.
L'Agence de météo nationale vient en outre de mettre en service le premier système mondial de détection des séisme avant qu'ils ne se produisent associé à un outil d'alerte.
Le système détecte en effet les ondes appelées "P" qui se propagent plus rapidement que les ondes "S", celles qui produisent les dégâts. Ainsi, selon le type de séisme, sa magnitude, sa profondeur, et autres caractéristiques, l'agence peut-elle donner l'alerte plusieurs secondes avant que les secousses ne soient trop violentes, via un réseau de données à très-haut débit.
Bien entendu, le temps qui sépare l'alerte des secousses "S" dépend de la distance à l'épicentre.
Tout juste mis en oeuvre, ce système révolutionnaire s'adresse aux institutions étatiques, services de secours, compagnies de transport, usines et autres sites de production, centrales nucléaires, entreprises de BTP, ...afin de leur permettre de se prépaper et de stopper leurs machines à temps.
Il n'est pas encore destiné directement au grand-public pour éviter les mouvements de panique. L'agence estime en effet qu'il faut avoir une bonne compréhension du système pour réagir de façon rationnelle et qu'à l'heure actuelle, la fiabilité n'est peut-être pas encore suffisante pour se permettre de diffuser les alertes à grande-échelle.
La panoplie d'outil en cas de catastrophe ne cesse néanmoins de s'enrichir.
Une société spécialisée dans l'adressage des données prévoit par exemple d'équiper des millions de distributeurs de boissons installés dans les rues, et zones de transit (gares, centres commerciaux) d'afficheurs à diodes pour faire défiler les informations de l'Agence de météo et relayer les consignes en cas de danger.
L'opérateur mobile KDDI a pour sa part renrichi son service de guidage GPS sur téléphone en temps réel d'une fonction spéciale pour faciliter le retour chez soi en cas de catastrophe naturelle, avec indications des zones à éviter, des points de chute, des postes de secours....
Son rival NTT DoCoMo a de son côté décidé d'optimiser son réseau de troisième génération en séparant les trafic voix et données, afin de fiabiliser les envois de messages lors des séismes.
D'autres systèmes sont en cours de développement que nous ne manquerons pas de suivre...
Commentaires
Lien croisé
En direct de Tokyo : "Au pays des "jishin", les gratte-ciel tanguent... Technologies, publié le dimanche 03 septembre" rel="nofollow"
anonyme - 04.09.06 à 20:12 - # - Répondre -
Bonjour, cet article sur les séismes et les grattes-ciel est très intéressant!
Mais est-ce-que il n'y aurai pas plus d'information sur les effets des ondes P et S sur les grattes-ciel d'un point de vue technique ?...
so@ - 23.11.06 à 05:31 - # - Répondre -