En direct de Tokyo ...

par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Le Japon, caillou dans la chaussure d'Airbus...

... seul pays où le champion européen ne vend pas d'avion

Publié par K. Poupée le Mardi 29 Août 2006, 17:11 dans la rubrique économie - Lu 8408 fois - Version imprimable



Ecouter

"Besoin de Japon": ce n'est pas seulement la sensation irrépressible qui envahit le cerveau de l'auteur de ce blog chaque fois qu'un avion l'éloigne du sol tremblant l'Archipel, ni seulement le titre d'un ouvrage du chercheur du CNRS, Jean-François Sabouret, mais c'est aussi l'un des soucis sérieux qui taraudent le champion de l'aéronautique européen Airbus.

En effet, bien que l'avionneur du Vieux Continent puisse à juste titre se vanter d'avoir en l'espace de quelques années rattrapé, et même un temps dépassé, le mastodonte américain Boeing sur le marché mondial de l'aéronautique civile, il met rarement en avant ses succès au Japon: et pour cause, il n'en connaît aucun.


L'Archipel, deuxième économie du monde, faut-il le rappeler, constistue un énorme caillou dans la chaussure d'Airbus, lequel n'enregistre que 4% du

marché japonais de l'aéronautique civile, et encore, en comptant large.



Sur les quatre appels d'offres massifs lancés ces dernières années par les deux plus importantes compagnies aériennes japonaises, Japan Airlines (JAL) et All Nippon Airways (ANA), Airbus n'en a remporté aucun.

Boeing a dans le même temps totalisé plus de 200 commandes d'appareils, des 737 et 787 Dreamliner notamment, auprès de ces mêmes compagnies.


C'est que tout Airbus qu'on s'appelle, on n'efface pas comme ça cinquante ans de présence de Boeing au Japon, surtout quand la stratégie de ce dernier consiste à mettre en permanence en avant, via de pleines pages de publicité bien sentie savamment distillées dans la presse nipponne, la relation privilégiée qu'il entretient depuis des lustres avec l'industrie nipponne.


Relation qu'il fortifie au fil du temps en aidant les Japonais à parfaire et valoriser leurs technologies hors-pairs, pour leur permettre peut-être un jour, qui sait, de réaliser leur rêve: faire voler un avion "made in Japan", lointain successeur de feu l'YS-11 de l'ère Showa


Dernier exemple en date ce cette stratégie gagnante: le fait que le programme "Boeing 787 Dreamliner" soit considéré par le Japon comme un "projet national" compte-tenu de la part (35%) prise par les trois géants de l'industrie lourde nippone (Mitsubishi Heavy Industries, Fuji Heavy Industries et Kawasaki Heavy Industries) dans la production du fuselage de l'engin.

Via un consortium d'industriels locaux, le JADC, l'Etat japonais offre ainsi indirectement à Boeing des subsides pour alléger les risques pris par les entreprises nippones dans la recherche et le développement liés aux innovations techniques mises en oeuvre pour ledit "Dreamliner". Ce n'est en outre pas le premier avion estampillé Boeing qui bénéficie de ce statut particulier de "progamme national japonais". Il en fut de même pour les 767 et 777.



Privé de cet avantage, Airbus rencontre les pires difficultés pour vendre sa marchandise au Japon. D'autant que sa façon de procéder sur l'Archipel n'apparaît ni lisible ni trop respectueuse des moeurs locales.

Ce n'est pas non plus la présence à la tête d'Airbus Japon de l'ex-président de la Chambre du Commerce américain au Japon et de subordonnés venus de Seattle qui contribue à clarifier la stratégie du groupe européen sur l'Archipel. Passons.


Chez les industriels japonais, les choses sont en tout cas sont claires: pour le moment, ils croûlent sous la tâche avec le boulot massif que leur donne Boeing, et n'ont ni équipement, ni personnel, ni temps à consacrer à Airbus, d'autant que ce dernier a semble-t-il quelques difficultés à bien définir ses programmes comme l'ont prouvé les tergiversations autour de l'A350.

Le groupe japonais Kawasaki Heavy Industries a par exemple annoncé récemment qu'il n'allait pas renouveler son contrat pour produire des pièces détachées pour l'Airbus A321. "Quand nous avons revu le contrat avec Airbus, nous sommes parvenus à la conclusion qu'il ne faisait pas notre affaire", s'est borné à expliquer un porte-parole du groupe. Kawasaki Heavy produisait depuis 1991 des panneaux pour les ailes du biréacteur moyen-courrier A321



Du côté du gouvernement japonais, on explique que si Airbus offrait autant aux indutriels nippons que Boeing (c'est à dire une grosse partie de la production des appareils et pas des menues pièces détachées), il n'y a pas de raison que les coorpérations ne débouchent pas.

Mais, Airbus peut-il se permettre de confier un tiers de la production de ses appareils aux Japonais sans immédiament voir les syndicats européens s'alarmer contre les pertes d'emplois qu'une telle "délocalisation" créerait en Europe.


Même si les compagnies et le gouvernement nippons prétendent qu'il n'existe aucun lien entre l'absence de coopérations industrielles d'ampleur entre acteurs japonais du secteur et Airbus, et le fait que les compagnies ignorent ce dernier, il est difficile d'imaginer que les relations entre Boeing et les entreprises japonaises ne jouent pas au moment de passer les commandes.
Il existe d'ailleurs à cela des raisons tout-à-fait légitimes, tenant par exemple à faciliter d'une part l'approvisionnement des pièces pour la maintenance et d'autre part la relation avec leurs fournisseurs, plus proches s'ils sont nippons.


Si Airbus ne craignait pas de devenir totalement tricard au Japon, peut-être le groupe insisterait-il néanmoins davantage auprès de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour dénoncer les aides financières au développement injectées par l'Etat nippon dans les programmes de son concurrent, lesquels ne sont apparemment pas que des avances remboursables...

Mais l'avionneur ne prend pas ce risque, qui se fixe pour objectif prioritaire, voire pour seul horizon, de vendre un A380 aux compagnies nippones.

Hélas, les dirigeants de ces dernières répètent à l'envi depuis des années qu'elles n'ont pas besoin d'un tel paquebot des airs.

Raison invoquée: leur stratégie est au contraire pour le moment de réduire autant que faire se peut la variété d'appareils constituant leur flotte, de diminuer la taille des avions employés et d'augmenter les fréquences de vol, le tout pour gagner en souplesse face aux fluctuations aléatoires du trafic, pour abaisser les coûts et améliorer la commodité pour les passagers en proposant des horaires plus adaptés à la demande.

"Je comprends que la faiblesse des parts de marché d'Airbus au Japon puisse soulever des questions d'ordre politique, mais ce n'est pas notre probème. Nous sommes une entreprise, nous raisonnons en termes de compétitivité", s'est énervé récemment le nouveau PDG de JAL, M. Nishimatsu.


Les choix de JAL et ANA se sont portés sur les 737 et 787 de Boeing, uniquement parce que ces appareils ont été jugés plus à même de répondre à leurs besoins (techniques, économiques, commerciaux) que les modèles concurrents proposés par Airbus lors des appels d'offres conduits dans les règles de l'art, arguent les deux compagnies.

Et puis, embarquer 800 personnes en 20 minutes, temps maximum qu'elles s'imposent pour faire grimper les voyageurs et être toujours à l'heure, leur semble une utopie, en dépit de leur logistique incroyablement bien huilée.



De leur propre aveu, la seule raison qui pourrait éventuellement les pousser à faire l'acquisition d'un A380 serait que les compagnies étrangères rivales qui ont opté pour ce géant des airs rencontre un succès tel qu'elles constateraient une fuite de leurs passagers des lignes internationales vers ces concurrents.

Sauf qu'entre temps, Boeing se sera sans doute arrangé pour leur proposer une version optimisée et truffée de technologies nippones du 747, dont elles furent les plus importantes et fidèles utilisatrices.


Airbus pourrait à tout le moins en raisonnant à long terme donner des gages aux industriels et gouvernement japonais en s'engageant fortement dans leur projet de développement de supersonique.

Si certains collaborateurs du groupe européen au Japon et les représentants de l'aéronautique française sur l'Archipel (Gifas) sont convaincus du bien-fondé d'un tel projet, encore faudrait-il que les dirigeants toulousains d'Airbus sortent du brouillard et des turbulences pour en prendre la mesure et éviter de se "crasher" en vol avant d'atterrir au Japon.




Article précédent - Commenter - Article suivant -

Commentaires

Merci pour cette très intéressante analyse.

idoric - 31.08.06 à 17:24 - # - Répondre -

Lien croisé

En direct de Tokyo : "Le Japon, caillou dans la chaussure d'Airbus... Economie, publié le mardi 29 août" rel="nofollow"

anonyme - 01.09.06 à 17:58 - # - Répondre -

Re: Un caillou dans le blog

Cher Roban,

Merci d'avoir pris le temps d'apporter votre contribution à ce blog que par ailleurs vous désapprouvez.
Je ne réfute pas le fait que les aspects politiques jouent (c'est pour cela que je parle de 50 ans de présence de Boeing au Japon), mais cela n'enlève rien au fait qu'en confiant une grosse partie de ses projets au Japonais, Boeing empêche Airbus d'en faire autant. Ce handicap est loin d'être négligeable.
Dire que Boeing ne gagne les appels d'offres aujourd'hui que pour des raisons politiques reste à prouver (si vous le pouvez, je suis preneuse). Parce que cela exista effectivement dans le passé,  cela constitue encore à l'heure actuelle un alibi facile pour Airbus, alibi qui lui évite de s'interroger sur sa stratégie ici, mais...
Pourquoi a-t-on à la tête d'Airbus Japon une équipe de dirigeants américains qui ont passé l'essentiel de leur vie professionnelle à défendre les intérêts US ?
Pourquoi EADS n'a-t-il pas même un bureau au Japon?
Si Airbus voulait jouer aussi la carte politique, le groupe s'y prendrait peut-être un peu différement. Sans garantie de réussite, certes, mais au moins avec le sentiment du devoir accompli, ce qui n'est guère le cas aujourd'hui.

Cordialement

KPoupee

kpoupee - 11.09.06 à 13:53 - # - Répondre -

Re: Un caillou dans le blog

Bonjour

-Concernant le resultant economique , commercial , technique.......le constructeur de chicago a une bonne lecture  du marche  une reponse a la demande des compagnies.

maxime - 21.07.07 à 15:22 - # - Répondre -

Quid des difficultés actuelles du Boeing 787 ?

Karyn,

ne vous serait-il pas possible d'enquêter sur les difficultés rencontrées par Boeing avec ses sous-traitants dont Misrubishi H I qui essuient les plâtres du tout composite ? 
Le manque de rigidité du caisson central construit par Mistubishi H I et qui sert de moignons à la voilure (Il a dû être renforcé par Boeing d'où les retards succesifs du programme B 787 et un surpoids guère apprécié des clients). Les japonais le prennent-ils si mal qui n'en disent mot, ou sont-ils tellement inféodés qu'ils n'ont pas le droit de communiquer directement comme semble pouvoir le faire un autre sous-traitant important, Alenia, qui lui est italien ?

Si les compagnies clientes japonaises étaient vraiment réalistes comme vous le dites elles envisageraient l'achat ou la location au moins d'un petit nombre de gros porteurs Airbus quite à poluer un peu le sacro saint principe de maintenance qui tend à  l'unicité des gammes d'avions. A tout le moins elles feraient jouer des pénalités de retards pour compenser le manque à gagner et les locations d'avions remplacants (ce qui est arrivé au programme Airbus 380)

Par ailleurs, ce serait bien si vous arriviez à dégoter des informations sur la fabrication au Japon des ailes, elles aussi en composite et selon un procédé inédit dans l'aviation civile je crois.

Un ex expat, (mais en Allemagne) sensible à votre approche.

francoyv - 13.04.08 à 05:39 - # - Répondre -

Commenter l'article