En direct de Tokyo ...

par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Ne dites surtout pas à "Pikachu" qu'il n'est qu'un "kakkoii karakuta" (cool personnage)...

...il se croit haut représentant du Japon à l'ONU

Publié par K. Poupée le Vendredi 11 Août 2006, 20:02 dans la rubrique Politique - Lu 21687 fois - Version imprimable


Pop culture, version audio...

A rebours de nombreux médias qui estiment que l'été n'est pas une période propice aux sujets complexes, nous allons aujourd'hui aborder un thème qui risque de faire débat et de nous valoir quelques messages passionnés: celui du rôle diplomatique de la culture populaire japonaise.

Le Japon, sorti exsangue de la Deuxième Guerre mondiale, peut se féliciter sans barguigner de s'être hissé en quelques décennies au rang de deuxième puissance économique du monde grâce à sa forte capacité de rebond, à l'abnégation, au courage et à la mobilisation de ses citoyens et de ses entreprises.

Pour autant, l'Archipel reste, quoi qu'en disent ses dirigeants depuis un demi-siècle, un nain diplomatique. Le Japon, souvent perçu comme étant à la botte des Etats-Unis, n'est par exemple pas parvenu à obtenir un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations Unies (ONU).


La Constitution nippone, qui dans son article 9 stipule que le Japon renonce indéfiniment à la guerre et aux armes pour régler les contentieux entre nations, a le sinistre inconvénient de son admirable avantage: à savoir l'affaiblissement du pouvoir politique du Japon sur le plan international en raison de son intrasigeant pacifisme.

Bien que d'aucuns souhaitent amender ledit article 9 pour permettre à l'armée japonaise de participer à des missions militaires à l'étranger autres que des campagnes d'aide à la reconstruction, une majorité de Japonais sont viscéralement pacifistes, ce qu'on ne saurait leur reprocher.



Conscient néanmoins de son manque criant d'influence sur la scène internationale, alors que celle de la Chine, éternelle rivale, grandit parallèlement, le pays du Soleil-Levant tente de combler le vide, en essayant de mettre sa puissance économique et son rayonnement culturel au service de sa diplomatie.

Le but est d'améliorer l'image du Japon, d'aucuns disent même la "marque Japon", dans le monde et de renforcer son attractivité pour influencer l'opinion publique mondiale, à défaut de pouvoir jouer des muscles et donner de la voix dans les hautes sphères diplomatiques.



Cette forme de "pouvoir par la bande" est souvent baptisée "soft power", selon l'expression d'un professeur de l'Université d'Harvard, Joseph Nye, par opposition au "hard power" que constituent par exemple les forces armées.



De fait, les "karakuta" (personnages de manga ou de dessins animés), les acteurs et metteurs en scène, les cuisiniers, les musiciens, les designers, les créateurs de mode, les architectes ou encore les sportifs nippons sont depuis quelques années considérés par le gouvernement japonais comme autant de soldats au service du pays.

Cette conception du rôle de ces populaires célébrités est de surcroît partagée par nombre de dirigeants d'entreprises, d'univeristaires, de créateurs eux-mêmes, de journalistes ou de simples citoyens.



Selon les promoteurs du "soft power", l'engouement que suscite à l'étranger la culture japonaise au sens large (manga, jeux vidéo, animation, sushi, robots, cinéma, design, mode, technologies...) doit être exploité pour faire résonner la voix du Japon à travers le monde et renforcer le pouvoir politique de l'Archipel au niveau mondial et surtout en Asie.


Les "Pokemon", "Hello Kitty", "Doraemon", "Yugi Oh!", "Mario" et autres emblématiques figurines nippones sont ainsi propulsées par le gouvernement et une partie des élites nippones au rang de diplomates au service du Japon.

Il en va de même pour le maître de l'animation Hayao Miyazaki ( à qui l'on doit entre autres chefs-d'oeuvre "Le Voyage de Chihiro", "Princesse Mononoke" ou "Mon voisin Totoro") , pour les développeurs des héros de jeux vidéo, pour les "talento" et autres "idoles" de la J Pop (pop japonaise), ou encore pour l'acteur/animateur/metteur en scène Takeshi Kitano, le créateur Issey Miyake, ou l'architecte Tadao Ando.



Il est vrai que l'attraction des jeunes générations pour les nouvelles formes culturelles nippones, souvent englobées dans l'expression "Pop culture" est incontestable depuis quelques années.

ll ne faut toutefois pas oublier que les arts traditionnels japonais (estampes, arts martiaux, ikebana, théâtres nô et kabuki...) connaissent depuis longtemps un succès et une influence continue en Occident. Pour autant, ils n'étaient pas nécessairement perçus comme des outils diplomatiques.





"Historiquement le Japon dispose depuis longtmeps d'un pouvoir d'influence grâce à ses arts et à sa culture, mais les Japonais n'en avaient pas conscience", écrit par exemple le Keizai Doyukai, organisation de dirigeants d'entreprises.


La différence cette fois tient au fait que la nouvelle culture nipponne touche toutes les couches des populations étrangères et pas seulement les classes élevées, souligne cette même influente organisation.



"Ce que la diplomatie traditionnelle n'a jusqu'à présent pas réussi à faire -donner au Japon la place qu'il mérite au plan politique compte-tenu de son poids économique -, la diplomatie par la culture lui en confère le pouvoir", affirment les fervents défenseurs du "soft power", qui se recrutent aussi nombreux dans les rangs des partis au pouvoir que dans l'opposition.



Reste que, si la réalité du "soft power" dans l'absolu ne fait aucun doute (Hollywood l'a montré), la capacité du Japon à s'en servir fait débat. En effet la question du lien de cause à effet entre la passion qu'expriment les jeunes étrangers pour les créations nippones et la réalité de leur intérêt pour le Japon et les Japonais reste posée.
De même qu'il est possible que la volonté de mondialisation des produits nippons par leurs créateurs et les entreprises du cru s'arrête à des aspects purement mercantiles, n'ayant que faire de vanter l'image et les valeurs de l'Archipel au-delà de ses frontières.

En résumé, Pikachu n'est-il pas davantage un excellent et efficace représentant de commerce qu'un ambassadeur?

En outre, les lacunes connues des Japonais (difficulté à parler d'eux-mêmes) ne disparaîssent pas forcément lorsqu'ils tentent de s'incarner dans des "karakuta" aux figures animales.
As du savoir-faire, les Nippons font souvent preuve d'une pitoyable incapacité en matière de "faire savoir".



De fait, deux opinions s'opposent actuellement au Japon à propos du "soft power" nippon.
Certains estiment que le Japon a déjà gagné en influence grâce à sa "pop culture" et qu'il peut s'en féliciter.
D'autres pensent au contraire que si le pouvoir du pays du Soleil-Levant par sa "pop culture" et ses arts tradionnels existe potentiellement, il n'est pas encore tangible, et doit donc être développé. Reste à savoir comment bien s'y prendre.Ces derniers ajoutent que ceux qui se contentent de l'engouement actuel pour en déduire que l'Archipel a gagné en influence se bercent d'illusions.


D'autant que, pour ces Cassandre, les signaux sont brouillés dans l'esprit des citoyens étrangers par certains actes politiques qui minent les efforts culturels. Ainsi en serait-il dans l'opinion des Chinois et des Coréens du fait des pélerinages répétés d'hommes politiques japonais de premier rang au sanctuaire Yasukuni à Tokyo où sont honorées les âmes de plus de deux millions de soldats nippons morts pour la patrie, dont, et c'est là que le bât blesse, quatorze criminels de gerre condamnés par les alliés en 1946 .



Un "anime center " a récemment été créé a Tokyo
pour promouvoir l'animation japonaise

Autrement dit, tout le problème est aujourd'hui de mesurer si la voix de Tokyo pèse davantage sur les affaires du monde, si les Nippons sont désormais mieux compris de l'extérieur et si le Japon parvient à susciter davantage confiance, le tout grâce à la diffusion mondiale de ses technologies, manga, sushi, films ou jeux vidéo.

Pour compliquer encore le débat, certains prônent une approche très différente s'éloignant de la théorie du "soft power" telle qu'appliquée par les Etats-Unis.

Il s'agirait non pas de donner naissance à de nouveaux "fans du Japon" par delà les frontières, mais de faire en sorte que les valeurs nippones mondialement reconnues (de respect, de courage, d'innovation, d'ordre, de paix...) soient transmises au monde par la "pop culture" sans pour autant que leur nationalité soit explicitement mise en avant, c'est-à-dire de façon politiquement désintéressée mais humainement universelle.



L'auteur de ces lignes, qui voue une véritable passion pour le Japon, reste perplexe sur la capacité du pays à renforcer sa diplomatie par sa "pop culture", craignant que l'engouement actuel ne soit hélas qu'un effet de mode, et n'étant par ailleurs pas persuadée que les cohortes de robots, "Pikachu" et consorts soient les meilleurs ambassadeurs du Japon à l'étranger. Elle serait néanmoins ravie que les valeurs nippones, perceptibles et appréciables au quotidien, trouvent effectivement, par des voies pacifistes, davantage d'écho dans le monde.


Article précédent - Commenter - Article suivant -

Commentaires

La bouffe japonaise c'est chouette . En effet le thon rouge utlisé dans les sushis est surexploité  , il y a un risque énorme qu'il n' y en ai plus  dans un futur proche , les dauphins ( deux especes ont totalement été décimée ces dernieres décénies ) sont  traqués   jusque dans leur dernier retranchement pour étre bouffé  à un prix dérisoires ( 3 € les 100 g ) ( source " l"effet papillon " de canal +  ) . Le consortium des scientifiques  internationaux qui est pourrit par le japon qui fait pression sur les pays pauvres en leur promettant monts et merveilles , juste pour légaliser  la chasse à la baleine .

Ah oui ca pour nous influencer ils sont forts , chapeau bas , moi aussi il y a un an ou deux  , j'avais une grande estime pour ce pays mais suite aux récents reportages sur  les exactions que ce pays pratique par égoïsme , par megalomanie , pour un interet commerciale et nombriliste , j'avoue etre de plus en plus écoeuré .
Bon c'est vrai  nous en France nous sommes loin d'être mieux , mais bon je voulais juste remettre les choses à plat pour dire que sous cette facade propre qu'a le pays du soleil levant  se cache un monstre tout ce qu'il y a de plus communs .

fugu - 31.05.07 à 08:14 - # - Répondre -

Commenter l'article