En direct de Tokyo ...

par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Violence au Japon: réaction de Jean-François Sabouret

après le débat Zemmour/Domenach le 16 mai 2014 sur itélé

Publié par K. Poupée le Mardi 27 Mai 2014, 01:14 dans la rubrique Politique

Après le débat sur itélé le 16 mai à propos de la violence au Japon entre les deux chroniqueurs médiatiques Eric Zemmour et Nicolas Domenach, le japonisant et spécialiste de la société japonaise Jean-François Sabouret (cité par M. Domenach)  a souhaité réagir. Voici le texte qu'il nous a adessé.

 



J'avais reçu un appel  téléphonique de Nicolas Domenach  qui souhaitait recevoir quelques informations sur la violence au Japon.

Par exemple à la question " y a t-il de la délinquance au Japon? " je réponds par l'affirmative, sinon comment expliquer la police, la prison, les contrôles souvent assez tatillons sur les individus.
Oui au Japon il y a des assassinats et des vols mais la violence à laquelle je pensais est celle de la grande délinquance, laquelle joue  en quelque sorte  un élément de contrôle sur la petite et moyenne délinquance. La grande délinquance c'est celle des groupes violents des Yakuza qui malgré une loi datant de plus de 20 ans, sont toujours présents et actifs mais moins visibles. La grande délinquance contrôle les quartiers chauds où les citoyens ordinaires vont se détendre le soir. Les commerces sont possédés ou contrôlées par l'un ou l’autre des trois grands groupes mafieux du Japon. Ils ont donc intérêt à ce que le citoyen ordinaire qui est alors « un client » soit le plus décontracté possible pour venir dépenser son argent.
Certains font le parallèle avec Marseille, dit-on, où jadis la grand délinquance, celle des familles mafieuses, contrôlait la ville et où les gens ordinaires n’étaient pas inquiétés. Je ne me prononcerai pas sur cette période prétendument idyllique où la sécurité était assurée aussi par la mafia dans la cité phocéenne.
La violence reste la violence, se situe hors la loi, et de ce point de vue doit être combattue et la police joue son rôle.
Mais au Japon, il y a une grande tradition,  où les « gangsters du temps jadis » à l’époque d’Edo, contrôlaient les quartiers de plaisir dont le plus célèbre à Edo (Tôkyô aujourd’hui) était Yoshiwara à Asakusa. Dans ces quartiers où il y avait des femmes, de l’alcool, de la musique, de la danse, du théâtre…il y avait peu de violence qui frappaient les individus ordinaires … pour peu qu’ils aient les moyens de payer les services tarifés.
 Il y a sans doute une continuité entre cette grande délinquance du temps jadis et celle actuelle.

Tout cela pour dire quoi ? Que la société japonaise ordinaire, quotidienne est paisible : il n’y presque pas de vols à l’arraché, beaucoup moins d’assassinat, les quartiers de détente où la soupape sociale peut se libérer un peu est contrôlée par les yakuzas qui sont aussi et de plus en plus des hommes d’affaires, qui se plaignent souvent de la violence des yakuzas chinois qui prennent pied au Japon et introduisent d’une manière significative « de la drogue et des filles ».
Mais, encore une fois, la vie ordinaire japonaise est paisible à n’importe quelle heure de la journée et presque de la nuit. Un séjour d’une semaine au Japon permet  à quiconque de s’en convaincre.

Ai-je été pris une fois, dans une manifestation violente ? Oui une fois mais c’était il y a trente ans environ à l’époque des fameux groupes de bôsôzoku qui, en moto, pouvaient investir une place avec chaînes, nunchaku et couteaux, semaient la peur durant de longues minutes. Dans ces cas là, l’instinct de survie commande de se faire le plus transparent possible. Cela m’est arrivé une fois, et par hasard, à Takadanobaba : mauvais endroit, mauvais moment. Les bruits des motos customisées à l’échappement libre et des hordes de jeunes menaçants font de toute personne une cible idéale. Puis sur l’ordre du chef, ils partent aussi vite qu’ils sont venus.
Mais on ne peut pas dire sur la base d’un seul exemple, assez ancien déjà, que la rue japonaise est inquiétante.
Pour expliquer la paix dans les grandes concentrations urbaines comme la mégalopole de Tôkyô et de ses satellites (plus de 40 millions d’habitants), il faudrait aborder la question du respect de l’espace public qui commence dès l’école primaire quand les enfants d’une classe font tous les soirs le ménage eux-mêmes (balayage de la salle,  nettoyage des toilettes, lavabos, tableau …). Le respect de l’espace commun commence là (pas de papiers, de mégots de cigarette, de déjections animales, de chewing-gum collés au sol, de mobiliers urbains vandalisés ou tagués). L’espace public est un bien commun, pas un repoussoir, pas une jungle. Le métro de Tôkyô est sûr et propre.

Pourtant la violence existe au Japon. Celle que je connais bien se joue dans les écoles et les collèges. Ce sont les fameux phénomènes d’Ijime, de souffre-douleurs, qui explosent durant la seconde année de collège (14 ans). Ce sont des Japonais qui font souffrir d’autres enfants japonais, qui les battent, leurs font subir diverses sévices, les rackettent souvent. La vie est un enfer pour celui qui en est victime.  Cette violence, qui est un phénomène social de premier plan met bien en relief les frustrations des jeunes Japonais . Pas besoin d’aller en chercher la cause chez des immigrés mal intégrés qui menaceraient et défieraient l’ensemble de l’édifice social.  Les causes de cette violence sont peut-être à chercher ailleurs chez une jeunesse totalement japonaise, qui comprend au moment de la puberté, de l’adolescence et de l’orientation scolaire, que les enjeux sociaux sont déjà joués… ou presque, et qu’il est vain de penser à une seconde chance.
La puberté et le système scolaire orienté vers le classement et la compétition sont un mélange explosif qui n’est pas lié à l’immigration.

Il faudrait toujours pouvoir être son propre porte-parole et dire, par exemple, que la France avec son immigration et toutes ses couleurs est belle et ; à terme , qu’elle sera gagnante.
Il y a des problèmes certes, comment le nier ? Mais on ne peut appliquer à une France continentale bordée par six autres pays la pratique supposée d’un pays insulaire à 300 kilomètres de la Corée et 1500 de la Chine.
La construction « d’une grande muraille de camenbert » en France aurait peu d’effet : celle de pierre n’a pas empêché les Mongols de s’installer en Chine.

Il faut intégrer et non bouter hors du pays des personnes dont les descendants au terme de deux ou trois générations défendent avec ardeur ce pays devenu le leur. Ce ne sont pas Messieurs Sarkozy ou Valls qui diront le contraire.
 Les Japonais d’ailleurs vont devoir faire appel à des travailleurs immigrés pour faire face, entre autre, à la reconstruction du Tôhoku (région du nord-est dévastée par le tsunami du 11 mars 2011), la préparation de la coupe du monde de Rugby, celle des jeux olympiques et la réinstallation d’entreprises japonaises qui avaient été délocalisées à  l’époque de la bulle économique des années 80. Bien sûr les Japonais espèrent mettre en place « une immigration contrôlée » avec des contrats de trois ans.
 On verra, à l’usage, si le plan fonctionne bien…


Jean-François Sabouret


Le débat: http://www.itele.fr/magazines/ca-se-dispute-zemmour-domenach/le-japon-terre-dharmonie-ou-de-violence-16-82747

Un article sur le site d'Arrêt sur images:
http://www.arretsurimages.net/breves/2014-05-20/Japon-delinquance-les-editorialistes-et-la-correspondante-id17455
 

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Pas de censure des sites internet et médias sur Fukushima (selon le gouvernement nippon)

En réponse à certains articles parus à l'étranger

Publié par K. Poupée le Vendredi 29 Juillet 2011, 14:30 dans la rubrique Politique

Des articles parus en Occident affirment que le gouvernement japonais a adopté une loi demandant aux opérateurs de télécommunications et sites internet d'effacer les commentaires, tweets et autres contributions indésirables au sujet de l'accident nucléaire de Fukushima et de ses répercussions.
A l'AFP, inquiets, nous avons cherché et trouvé ceci:

- d'une part un appel d'offres émis par l'Agence de l'énergie auprès de prestataires pour:
1 - recenser les contributions en ligne sur Fukushima
2 - y répondre en donnant des arguments (mais sans les effacer ni demander une telle mesure)
 
- d'autre part une ligne budgétaire dans une loi de finances pour payer cette prestation confiée à une société extérieure.

Les articles parus en Occident font vraisemblablement l'amalgame entre ces divers éléments, mais vont assurément trop loin dans leur envie de dénoncer une censure. Il eut été étonnant que si une ordonnance avait été adressée aux opérateurs de télécommunications et gérants de sites (comme le prétendent des médias étrangers), les intéressés n'aient pas réagi, notamment Softbank dont le patron est opposé comme pas deux à l'énergie nucléaire et en fustige le mythe de la sécurité et des bas coûts.

Vioici ce que dit le gouvernement nippon à propos de ces rumeurs de censure des sites internet:

Le Japon dément toute censure autour de l'accident nucléaire de Fukushima
   
   TOKYO, 29 juil 2011 (AFP) - Le Japon a catégoriquement démenti vendredi des articles publiés à l'étranger l'accusant de vouloir censurer sur l'internet toute information négative à propos de la crise nucléaire de Fukushima.
   Au cours des dernières semaines, plusieurs médias et sites internet occidentaux ont affirmé que le gouvernement nippon avait fait adopter une loi prévoyant de supprimer les "mauvaises" informations circulant sur la Toile à propos du grave accident survenu à la centrale nucléaire Fukushima Daiichi après le séisme et le tsunami géant du 11 mars dans le nord-est de l'archipel.
   Chikako Ogami, porte-parole de l'Agence de l'énergie, a démenti l'adoption d'une telle loi. "Notre gouvernement ne censurera jamais l'information. Ce sont des articles erronés", a-t-elle dit à l'AFP.
   Mme Ogami a expliqué que des fonds spéciaux avaient été réservés sur le budget destiné à la reconstruction des zones dévastées du Tohoku (nord-est), qui lui a bien été adopté par le Parlement. Mais cet argent est destiné, selon elle, à assurer une veille des sites internet afin que les autorités soient alertées sur toute information "inexacte" susceptible de véhiculer des rumeurs nuisibles aux habitants de la préfecture de Fukushima.
   "Nous n'avons aucunement l'intention de demander aux fournisseurs d'accès à internet ou aux gérants de sites de supprimer ce genre d'information ou de punir ses auteurs", a-t-elle tenu à souligner. "Nous allons simplement donner des explications sur notre propre site et sur notre compte twitter."
   C'est la société Asatsu DK, un important publicitaire japonais, qui, suite à un appel d'offres, a remporté le contrat de 70 millions de yens (630.000 euros) et sera ainsi chargé de cette veille internet jusqu'à fin mars 2012.
   La centrale Fukushima Daiichi a été gravement endommagée par une vague géante de 14 mètres déclenchée par un séisme de magnitude 9 survenu au fond de l'océan Pacifique le 11 mars.
   Quatre de ses six réacteurs ont commencé à chauffer dangereusement, provoquant des explosions et des rejets radioactifs dans l'atmosphère et dans la mer. Quelque 80.000 personnes ont dû être évacuées dans un rayon de 20 km autour de la centrale.
   Certains habitants de Fukushima se sont plaints de rumeurs affirmant qu'ils risquaient de contaminer d'autres personnes s'ils voyageaient en dehors de la préfecture.
   Les agriculteurs locaux sont également victimes de l'embargo imposé pour certains légumes, produits laitiers et maintenant la viande de boeuf originaires de la région. Cette mesure a jeté le soupçon sur l'ensemble des produits étiquetés en provenance de Fukushima.

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Japon: alternance au pouvoir, l'épreuve après la victoire...

un point de vue sur les élections et le nouveau gouvernement

Publié par K. Poupée le Dimanche 4 Octobre 2009, 01:05 dans la rubrique Politique


Editorial à lire sur Réseau Asie (CNRS/FMSH),
un site dirigé par Jean-François Sabouret, spécialiste du Japon et auteur de plusieurs ouvrages sur ce pays et sa population.

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Mangeurs de baleine, les Japonais? ...

Avaleurs de couleuvres, vous voulez dire !

Publié par K. Poupée le Dimanche 19 Octobre 2008, 12:30 dans la rubrique Politique


Les Japonais sont villipendés à travers le monde pour leur consommation de chair de baleine, cétacé qu'ils pêchent en employant des techniques jugées cruelles sous couvert de "prises scientifiques", alors même que, selon les défenseurs de ces mamifères marins, il est possible de mener des recherches sur les espèces baleinières sans les sacrifier. Les Nippons pêcheurs et amateurs de baleine (tous ne le sont pas) arguent pour leur part que la consommation de sa chair écarlate est une tradition gastronomique ancestrale et qu'elle doit perdurer. Ils appellent à une levée du moratoire sur la pêche commerciale, mais les discussions sont bloquées au sein de la Commission baleinière internationale (CBI). Les Japonais auront vraisemblablement du mal à avoir gain de cause. Ce ne sera jamais là qu'une défaite diplomatique de plus, car en la matière, les Japonais ne sont pas les plus fins stratèges. Plus que des baleines, ce sont en fait des couleuvres qu'ils avalent.




Les derniers événements en date nous en ont apporté plus d'une preuve.
 
Alors que le monde traverse actuellement une des pires crises financières qu'il ait connues en un siècle, le Japon,  deuxième puissance économique mondiale dont les banques sont dans une situation plus enviable que la plupart des institutions occidentales, apparaît comme un acteur de deuxième plan dans la lutte, même s'il participe aux actions pour calmer la tempête.





Le Japon a beau présider en 2008 le Groupe des huit nations les plus riches (G8), si un sommet exceptionnel se tient d'ici la fin de l'année, il n'aura pas lieu au Japon comme cela aurait normalement dû être le cas. Le Premier ministre nippon, Taro Aso, qui veut pourtant hisser haut le drapeau japonais, a vite compris qu'il ne devait guère se faire d'illusion sur ses chances de réunir sur l'archipel les grands argentiers du monde. Il l'a dit à mots couverts devant les parlementaires le 15 octobre: "cet éventuel sommet aura lieu là où il pourra produire les meilleurs effets". Eh bien ce sera aux Etats-Unis, le 15 novembre, et ce sont les présidents français Nicolas Sarkozy et américain George W. Bush qui en ont décidé ainsi et l'ont annoncé, sans vraisemblement trop s'inquiéter de ce que Tokyo en pense. Un coup de fil pour informer M. Aso, qui, forcément, a approuvé (que pouvait-il faire d'autre?).





A l'évidence, M. Aso avait dès le départ admis que le Japon n'était pas le pays le plus approprié pour accueillir les chefs d'Etat et de gouvernement du G8 (d'ailleurs élargi à une douzaine d'autres), un message que les diplomates étrangers ont sans aucun doute rapidement fait passer à leurs homologues nippons. Il n'empêche, si le Japon avait mieux su depuis longtemps s'imposer comme une grande puissance politico-diplomatique, il aurait sans doute pris davantage d'initiatives pour tenter de venir à bout de la calamité mondiale qui tue la croissance économique et mine le moral des citoyens. "Pourquoi ce sommet n'a-t-il pas lieu au Japon", se désolent les commentateurs sur les chaînes de TV nippones.

"Le Japon est une grande puissance économique, il a l'expérience des crises financières et va jouer un rôle central", tente de les rassurer le monde politique nippon.

Las, actuellement, le Japon apparaît sinon décrédibilisé, du moins peu fiable, car trop instable sur le plan politique. Et pour cause: il a changé de chef de l'exécutif (Premier ministre) trois fois en deux ans et les politiciens ne cessent de débattre de la date de la prochaine dissolution de la chambre des députés et d'élections législatives dans la foulée, donc d'un possible nouveau gouvernement avec à sa tête, un nouveau Premier ministre.



Autre exemple de la faiblesse nippone, le cas de la Corée du Nord. Les Etats-Unis viennent d'effacer ce pays au régime communiste dictatorial de la liste des nations soutenant le terrorisme. Une claque pour les Japonais, pourtant plus fidèles alliés des Américains. Que peuvent-ils faire? Rien, sinon accepter la tête basse le verdict de Washington. Pourquoi? Eh bien parce qu'ils sont démunis d'arguments d'envergure géostratégique internationale pour contester ce choix. Les Japonais semblent s'être piégés eux-mêmes en insistant lourdement sur la clarification du devenir des 17 Nippons (13 selon les nord-Coréens) enlevés par des missionnaires de Pyongyang dans les années 1970-1980 et dont on ne sait s'ils sont morts ou vifs, à l'exception de cinq revenus au Japon ces dernières années. Le dossier est sensible,  affectif, pour les citoyens nippons, et les politiciens se montrent démagogues sur ce sujet.




Il est politiquement bénéfique lors d'élections de prendre fait et cause pour les kidnappés et leur familles meutries, mais diplomatiquement cela est destructeur. Les dirigeants mentent à leur opinion publique lorsqu'ils affirment que tous les pays du monde se mobilisent pour régler ce problème que beaucoup d'étrangers pourtant ignorent ou dont ils se fichent éperdument. La question de la dénucléarisation de la Corée du Nord est jugée ailleurs autrement plus importante pour la sécurité planétaire.




Le gouvernement nippon n'a pas hésité à réaliser des programmes vidéo distribués sur DVD et censés prouver que la planète est tourmentée par le malheur des kidnappés nippons. Il a même coproduit une animation larmoyante autour du cas emblématique de Megumi, enlevée adolescente. La douleur des familles est bien sûr compréhensible et la lumière doit être faite sur les disparus. Mais les diplomates japonais auraient peut-être été bien avisés de faire comprendre dès le départ à leur opinion publique que cette affaire n'était pas, tant s'en fallait, la priorité des Américains, pas plus que des sud-Coréens, Russes ou Chinois, engagés avec eux dans les discussions à six avec la Corée du Nord pour pousser cette dernière à désactiver ses installations nucléaires. Les citoyens nippons ont cru naïvement leurs dirigeants, et les familles des victimes ont fait aveuglément confiance au président George W. Bush lorsqu'il les a reçues et leur a promis de prendre en considération leur peine. Aujourd'hui, les Japonais doivent se rendre à l'évidence: les kidnappés sont des inconnus pour le reste du monde. Une fois les installations nucléaires nord-coréennes démentelées et bien d'autres problèmes pendants réglés, peut-être que leur triste sort sera davantage pris en considération par la communauté internationale. Il ne pouvait cependant pas être érigé en priorité numéro un comme l'a maladroitement pensé le Japon.


La difficulté du pays du Soleil-Levant à trouver une place dans les affaires du monde en adéquation avec sa puissance économique est une anomalie attristante qui ne laisse pas de susciter le questionnement.  Lors des récentes querelles entre la Russie et la Géorgie, quelle voix n'a-t-on pas entendue? Celle du Japon




De même est-il désolant le fait de constater qu'un grand journal comme le quotidien de droite Yomiuri Shimbun (le plus important du monde en tirage - 11 millions d'exemplaires par jour pour la seule édition matinale) mobilise des journalistes pour compter combien de fois le Premier ministre Aso est allé boire dans des bars huppés et privés avec des visiteurs du soir et à quelle heure en moyenne il rentre au bercail depuis son entrée en fonction. Et les mêmes de comparer le résultat élevé (24 soirées en moins d'un mois) et ses horaires tardifs de retour (22H54 en moyenne) avec ceux de ses prédécesseurs, pour en faire un long article (paru le 19 octobre).



 

Vous trouverez quelques explications historiques, politiques et sociologiques sur ce chagrinant état de fait dans "Les Japonais", essai paru en septembre aux éditions Tallandier.






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Les Japonais déplorent que Sarko n'aime ni Tokyo, ni Kyoto ni le sumo...

... et qu'en plus il soit un peu trop pro-chinois!

Publié par K. Poupée le Mardi 22 Mai 2007, 01:04 dans la rubrique Politique



"Au fait, c'est quand les résultat de l'élection présidentielle en France?"
"Eh bien c'est passé mon garçon! "


Eh oui, que voulez-vous, ce jeune Japonais est un peu largué. Vu du Japon, la France c'est loin, et les échéances électorales hexagonales sont le cadet des soucis des citoyens nippons lambda, déjà que les leurs ne les passionnent pas.


Il n'empêche dans les milieux politiques, diplomatiques, économiques et médiatiques japonais, le départ de Chirac (plus parfois que l'arrivée de Sarkozy) est un sujet d'importance.

Tout d'abord pour les sumotoris. Pensez, ces lutteurs de gros gabarits aussi grassouillets que grâcieux vont être privés de la "Coupe Jacques Chirac", un trophée remis aux champions au nom de l'ex-président français depuis 2000.



Comme Sarko n'a pas manifesté le moindre égard pour ce sport traditionnel, au contraire, puisqu'il l'a qualifié de "combat d'obèses au chignon gominé", on n'est pas certains que la fédération nippone accepte une hypothétique "Coupe Sarkozy" si d'aventure cette malhonnête proposition lui était faite. Passons.



Et puis, que voulez-vous, le "grand Jacques" plaisait aux Japonaises, le "petit Nicolas", lui, n'a d'yeux et de baisers que pour Cécilia, et il le montre sans cesse aux caméras, alors....



Plus sérieusement, regardons ce que les médias nippons ont rapporté de cette élection.

Se gardant de jugements hâtifs, ils sont néanmoins partagés sur ce qu'il faut attendre de l'arrivée du quincagénaire à l'Elysée. Dans son ensemble, la presse japonaise craint un risque de relâchement des liens entre la France et le Japon après histoire d'amour diplomatique et culturelle entre Chirac et l'Archipel.


"A l'inverse du nippophile Chirac, M. Sarkozy a fort peu de liens avec le Japon", a résumé l'influent quotidien économique Nikkei.
Qu'en de termes polis ces choses là son dites.

En effet, même si ledit Sarkozy a affirmé aux diplomates nippons avoir "une affinité" avec le Japon (personne ne sait laquelle), le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il a jusqu'à présent tout fait pour laisser penser le contraire.

N'a-t-il pas lâché, outre ses propos désobligeants sur le sumo, que "Tokyo est étouffant par rapport à Hongkong" (sic!) et qu'il ne comprenait pas quels étaient les attraits de Kyoto (et vlan!).

Bon d'accord, tout cela appartenait à la stratégie de la "rupture" face à Chirac qui a plus que des affinités avec le Japon, chérit Kyoto et aime respirer l'air (pur) de Tokyo.


"Il semble qu'il ait moins d'intérêt pour le Japon" que son prédécesseur, relève également, à droite le quotidien Sankei. C'est clair.

"Nous aimerions qu'il s'intéresse davantage au Japon et approfondisse sa connaissance de notre pays. Nous suggérons qu'il vienne et assiste à un combat de sumo le plus vite possible", ajoute le journal, rappelant au passage que M. Sarkozy avait aussi jugé que "ce n'était pas vraiment un sport d'intellectuel".

Mais le même quotidien s'empresse de signaler à ses lecteurs prompts à réduire Sarko à un anti-nippon primaire qu'il lui a fallu bien du courage à M. Sarkozy "pour surmonter son environnement familial pendant son enfance, pour supporter les aléas de sa vie privée (cette Cécilia décidément!), pour changer le cap de la politique sociale... et même, last but not least, pour trahir M. Chirac lors de l'élection présidentielle de 1995!!!!


Le gouvernement conservateur japonais a pour sa part salué la victoire de Nicolas Sarkozy et a promis d'oeuvrer à la construction d'une "ère nouvelle" dans les relations entre Tokyo et Paris.

"J'ai été très impressionné par la détermination que vous avez affichée pendant la campagne électorale à mettre en oeuvre de courageuses réformes", a dit le Premier ministre japonais Shinzo Abe au président fraîchement élu.


Mais passées ces bonnes paroles, il va falloir bosser, a rappelé la presse, en pesant les éléments qui favorisent ou au contraire rendent difficiles le dialogue entre les deux hommes.

"Ils sont, chacun dans leur pays, les premiers leaders nés après-guerre, ils ont une forte couleur conservatrice, ils jouissent d'une cote de popularité élevée, ils sont pro-américains, et ils plaident pour une rupture avec le passé", résume par exemple le Mainichi.

"Mais ils ne sont pas issus du même milieu", ajoute ce journal de centre-gauche: "M. Sarkozy est d'origine immigrée et a connu des difficultés familiales, il n'a pas fait l'Ena, tandis que M. Abe est au contraire un homme du sérail descendant d'une famille d'hommes politiques (grand-père Kishi, ex-premier ministre, et père, Abe, ex-ministre ).

"L'équipe du Premier ministre Shinzo Abe devra approfondir le dialogue avec le nouveau gouvernement français et contruire des relations de confiance", préconise la bible des férus d'économie, le Nikkei.


M. Abe espère en tout cas que l'élection de Sarkozy va permettre une amélioration des relations franco-américaines et que cela aidera un peu le Japon à sortir de son isolement ultra-pro-américain.

Reste que, comme le déplore un haut-fonctionnaire du ministère japonais des Affaires étrangères, "il y a peu de liens entre M. Sarkozy et le Japon, si bien que le devenir des relations franco-japonaises reste incertain ". Va effectivement falloir bosser!

D'autant que, comme le craint le Mainichi, "l'attention de M. Sarkozy pourrait bien se tourner vers la Chine". Bien vu.

Car il y a un marché pour les entreprises françaises en Chine, mais au Japon, c'est moins sûr, beaucoup moins sûr, hormis pour les champions de la mode et de la bonne bouffe, encore leur faut-il atteindre de hauts niveaux de qualité. Demandez par exemple à EADS, dont la filiale Airbus ne vend pas un avion aux grandes compagnies nippones!



Le Nikkei observe que la politique de réforme préconisée par M. Sarkozy "semble consister à passer d'une priorité pour le social vers une politique de concurrence à l'anglo-saxonne fondée sur le mécanisme du marché".
Mais en fait les choses sont plus complexes, décrypte le quotidien. Car la pensée de M. Sarkozy ne se limite pas à un libéralisme pur et simple, selon lui. Pourquoi? Eh bien parce que le nouveau président a déclaré qu'il protégera les industries importantes comme EADS ou Renault, et que M. Sarkozy n'hésitera pas à sauver les entreprises françaises qui feraient face à une crise menaçant la situation de l'emploi, prévient le quotidien.


"Le libéralisme prôné par M. Sarkozy est protectionniste envers les zones extra-européennes telles que l'Asie ou l'Amérique, et si le président plaide en faveur d'une cohésion de l'Europe, c'est dans l'idée d'accorder la priorité aux intérêts nationaux, en faisant de l'Union Européenne une digue qui protège la France de la mondialisation", explique aussi le Maincichi.

Toutefois, selon le quotidien de droite Yomiuri, les milieux des affaires japonais ainsi que les entreprises nippones implantées en France se félicitent de l'élection de M. Sarkozy.

Mitarai Fujio, patron de l'entreprise des technologies de l'image Canon et président de la plus puissante organisation patronale, le Keidanren, a affirmé que "les Français ont choisi de renouer avec la vitalité et la compétitivité via la croissance économique".
Quant au chef d'une autre institution de patrons, le Dôyûkai, il s'est "senti rassuré du fait que les Français ont choisi un homme qui accorde une prépondérance au libéralisme économique ".


Toutefois, la crainte que la Chine soit davantage en tête des priorités du nouveau locataire de l'Elysée est renforcée par le soutien de la France à la levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à la Chine.
"Si cet embargo était levé, l'environnement sécuritaire du Japon s'en trouverait affecté", souligne le quotidien à grand tirage Yomiuri (ultra-conservateur).
"Et si ça arrivait, le Japon ne pourrait plus entretenir les mêmes relations amicales" avec la France, avertit-il.


A noter pour conclure que la presse écrite a rapporté, souvent avec photos bien marquantes à l'appui, les manifestations de protestation contre l'élection de M. Sarkozy qui ont eu lieu dans la capitale (Place de la Bastille) et d'autres villes (Toulouse, Lyon, Lille, Marseille, Bordeaux).

La télé ne s'en est pas privée non plus, refaisant par le menu l'historique des précédentes nuits d'émeutes (choses invisibles au Japon depuis plus de trois décennies). Elles se sont notamment étendues sur celles de novembre 2005, en prenant un malin plaisir à traduire en langue nippone les expressions "on va vous débarasser de cette racaille" et "nettoyer au Karcher".


"Il est fort possible qu'à l'avenir, des manifestations, des grèves et des émeutes paralysent la société et que les réformes tournent court", conclut le Tokyo Shimbun.
Eh, ben, ça promet. Raison de plus pour rester à Tokyo.

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"Faux vrais scoops" à la une...

...bis repetita, CQFD

Publié par K. Poupée le Samedi 16 Décembre 2006, 00:08 dans la rubrique Politique


Ecouter

Vous vouliez une preuve supplémentaire de l'incompréhensible fonctionnement de la presse japonaise? Eh bien en voici une touche fraîche. Elle date de ce vendredi 15 décembre 2006, c'est-à-dire moins d'une semaine après la mise en ligne sur ce blog d'un article dénonçant certaines pratiques ultra-fréquentes et très énervantes des médias et entreprises nippons.




A la une de l'édition du matin du vendredi 15 décembre du quotidien économique Nihon Keizai Shimbun (Nikkei), un titre: "Japan Tobacco (JT) a conclu un accord avec un groupe britannique du même secteur (Gallaher) pour le rachat de ce dernier".
Sous-titre: "montant de la transaction de 2.200 milliards de yens".


Pas de sources clairement mentionnées, mais un luxe de détails. Le Nikkei a même poussé la fierté et le bouchon jusqu'à indiquer que les deux sociétés allaient annoncer officiellement cet accord dans la journée de vendredi.


Réagissant dans la matinée à cet article, Japan Tobacco a publié un communiqué indiquant que rien n'était entériné même si effectivement des discussions étaient en cours. Il s'est refusé à avancer un montant.

Et quelques heures plus tard, en début d'après-midi, convocation d'urgence à une conférence de presse et nouveau communiqué... pour confirmer les faits ... avec cette fois le montant, exactement dans l'ordre de grandeur de l'estimation du Nikkei, soit 2.253 milliards de yens (environ 15,5 milliards d'euros au cours du jour).

Cette transaction amicale, si elle aboutit, représentera en valeur la plus importante offre publique d'achat (OPA) réalisée par une entreprise nippone tous secteurs confondus.

Avec la parution de l'article du Nikkei, le titre de JT à la Bourse de Tokyo a bondi, alors que le marché augmentait modestement.

A noter au passage que Japan Tobacco est détenu à 50% par l'Etat japonais...


On marche sur la tête, à moins qu'on baigne dans un océan malodorant de complicité. CQFD

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Japon: "kisha clubs" et "faux vrais scoops" à la une...

...ça pue sinon la corruption, du moins la connivence

Publié par K. Poupée le Dimanche 10 Décembre 2006, 23:34 dans la rubrique Politique


Ecouter



On vous a déjà confié ici que le pays du Soleil-Levant est une bien étrange démocratie où les citoyens osent rarement franchement faire état en public de leurs opinions politiques. Dommage, car il ne serait pas inutile que la voix du peuple s'élève parfois pour dénoncer quelques travers qui ne sont pas dignes de la deuxième économie du monde où il fait pourtant si bon vivre.



Parmi les grossiers défauts de l'Archipel, il en est deux qui ne cessent de turlupiner l'auteur de ce blog.

Il s'agit du système insensé des "kisha clubs" (clubs de journalistes) et de son corrolaire, le fonctionnement de la presse.

Pourquoi aborder ces délicats sujets? D'une part parce qu'un fidèle lecteur l'a souhaité, et d'autre part parce qu'en tant que journaliste étrangère au Japon, l'auteur de ce blog est concernée au premier chef.



Les "kisha clubs".

Comme leur dénomination l'indique, il s'agit de clubs de journalistes. Mais ce ne sont pas des sortes de "syndicats" ou associations de scribouillards se réunissant pour discuter de leur métier et défendre leurs droits comme il en existe notamment en France. Non, il s'agit de cercles fermés où n'entrent que des individus sélectionnés en fonction des médias auxquels ils appartiennent moyennant une substantielle cotisation.

Les "kisha clubs" sont créés et gérés par les plus grandes organisations étatiques ou par les entreprises pour leur permettre de délivrer rapidement aux médias les "informations" qu'elles veulent rendre publiques.



Ainsi, le cabinet du Premier ministre, tous les ministères, les collectivités locales, la Banque du Japon, la Bourse et autres institutions majeures ont leur "kisha club". Elles mettent à la disposition de leurs membres un espace dédié dans leurs locaux où sont en permanence présents des individus chargés de récupérer la bonne parole et de la transmettre illico à leurs rédactions.

Jusque-là, on pourrait dire qu'après tout, les choses sont plutôt bien organisées, comme souvent au Japon. C'est d'ailleurs dans ce louable objectif "organisationnel" que les "kisha clubs" sont nés à la fin de XIXe siècle.



Mais là où le bât blesse, c'est que les "kisha clubs" ne sont pas ouverts à toute la presse, et que la somme des cotisations dépasse les petits moyens des pigistes indépendants (free-lance), voire de certains médias qui, par les temps qui courent, ne roulent pas sur l'or.

Ainsi, même si quelque progrès ont été réalisés ces dernières années, la presse étrangère est-elle la première à faire les frais de ce système qui favorise les grands groupes de médias locaux, comme les quotidiens Yomiuri Shinbun, Mainichi Shinbun ou Nihon Keizai Shinbun, ainsi que les radios d'information et télévisions (groupe public NHK en tête) ou les agences de presse nippones Kyodo et Jiji



Les journalistes de ces médias bénéficient ainsi d'informations avant tous les autres et de tuyaux divers livrés en "off" par les fonctionnaires des ministères ou des autres institutions qu'ils croisent sans cesse dans les couloirs.

Des entreprises ont aussi leur "kisha club" auquel elles réservent la primeur de certaines informations, notamment lorsqu'il s'agit d'édulcorer un événement négatif. Pour les annonces de nouveaux produits, en revanche, toute la presse est évidemment bienvenue. Connivence poussée à son paroxysme.


Pour vous permettre de bien mesurer le côté très pervers de ce système que dénoncent régulièrement l'Union Européenne et diverses institutions étrangères, voici quelques récentes anecdotes professionnelles vécues par l'auteur de ce blog.

Lors de la guéguerre entre Japonais et Européens sur la désignation du site d'implantation du réacteur expérimental de fusion thermonucléaire (ITER), l'auteur de ce blog apprit par hasard que le ministre nippon de la Science devait s'exprimer pour admettre que le Japon consentirait à jeter l'éponge au profit de la France. Ni une ni deux, elle enfourcha son vélo et pédala à fond de train jusqu'au ministère.

Arrivée sur place, munie de sa carte officielle de journaliste délivrée par le ministère des Affaires Etrangères japonais, elle se rendit à l'étage où se trouve le bureau de la communication du ministre des Sciences et s'enquit auprès d'une fonctionnaire du lieu exact du "point de presse".

La préposée de service ne sachant répondre décrocha son téléphone et demanda à un "porte-parole" de rappliquer. Déboula alors un fonctionnaire, fort aimable au demeurant, qui expliqua gentiment à votre serviteur que "le ministre s'exprimait actuellement devant les journalistes du "kisha-club" et qu'elle n'aurait donc qu'à recopier leurs propos quand ils seront rendus publics". Et vlan.

Subjuguée mais ne se démontant pas pour autant, l'auteur de se blog fit mine de partir, mais bifurqua pour se rendre directement au "kisha club" demander aux journalistes des lieux de lui photocopier le document remis par le ministre. Refus. Comprendre: "t'as qu'à adhérer et payer ta cotise"

Deuxième exemple: lors de l'annonce des résultats financiers d'entreprises, les journalistes membres du "kisha club" de la Bourse sont les premiers à disposer plusieurs minutes voire plusieurs heures avant les autres de ces informations que les places de marché étrangères attendent souvent avec impatience, et que les agences de presse sont censées donner immédiatement. Hélas, certaines grandes agences étrangères sont obligées de perdre plusieurs minutes précieuses en nombreux coups de fil pour les récupérer dans les temps, faute d'être membres du "kisha club".

Troisième exemple très récent: lors de l'escale d'essai de l'avion géant d'Airbus, l'A380, à Tokyo, il a fallu "négocier" avec le "kisha club" des autorités aéroportuaires de Tokyo-Narita (NAA) pour avoir le droit d'approcher l'engin... Airbus n'avait pas le pouvoir de décider seule.
No comment.



Au-delà de ces faits liés aux "kisha-clubs", d'autres phénomènes ayant trait au fonctionnement de la presse posent questions.


Vous n'imaginez pas le nombre de "scoops" qui s'affichent à la une des journaux japonais.

Il ne se passe par exemple pas une semaine sans que la "bible du milieu des affaires", le Nihon Keizai Shimbun (Nikkei) ne fasse des révélations économiques importantes touchant notamment les géants de l'industrie locale.



Untel va construire l'usine du siècle, untel va fusionner avec tel autre, untel va afficher des pertes colossales....Les sources sont toujours anonymes.

Le plus souvent, à la parution de ces informations, les entreprises interrogées par les autres journalistes démentent dans un permier temps, jurent leurs grands dieux que "le scoop à la une" est infondé, que ce ne sont là que de simples spéculations de scribouillard. Ben voyons.

Et quelques heures plus tard, les mêmes qui avaient démenti en bloc convoquent dans l'urgence tout le monde à une conférence de presse pour ... confirmer ce qu'elles ont nié avant, et qui figurait noir sur blanc dans le détail dans le Nikkei du jour. Comprenne qui pourra.


Et cela arrive sans arrêt.

Ce fut le cas par exemple pour l'annonce de la fusion entre les méga-banques Tokyo Mitsubishi et UFJ. idem pour la revente par la maison de commerce Marubeni d'une partie des titres des convalescents supermarchés Daiei à Aeon (un vrai feuilleton de révélations et dementis en cascades se concluant par une confirmation).

Même chose encore pour la construction d'une usine ultra-moderne de dalles d'écran pour TV plasma par Matsushita. Rebelote pour la mise en chantier d'un gigantesque complexe industriel de semiconducteurs du japonais Elpida Memory en Thaïlande. Et c'est comme cela pour bien d'autres affaires du même acabit ou pour des faits divers et politiques de plus grande importance encore.



Le Nikkei n'a d'ailleurs pas l'apanage de ces "scoops".

La NHK avait par exemple indiqué la première que la Banque du Japon avait décidé d'abandonner sa politique de taux d'intérêts à zéro en juillet 2006, une décision historique dans le contexte japonais du moment, alors même que la réunion du comité de politique monétaire de la banque centrale n'était pas terminée.

De tels faits, assimilables à un délit d'initié, s'ils s'étaient produits aux Etats-Unis, auraient immédiatement déclenché une enquête du FBI compte-tenu des enjeux économiques que représentent ces informations. Et de nombreux autres cas seraient jugés à l'étranger "hors-la-loi".



Bref, cette sale impression que certains journalistes sont privilégiés et que les autres se font rouler dans la farine, à force, c'est très très énervant.

De deux choses l'une: ou bien les journalistes japonais du Nikkei et de certains autres grands médias nippons sont d'exceptionnels investigateurs, et dans ce cas, chapeau bas, messieurs!

Ou bien les entreprises et institutions sont sciemment complices. On n'ose en effet pas supputer que le Nikkei et consorts puissent monnayer leurs infos, ni qu'il puisse exister une foule de corrompus dans les entreprises et ministères.

Une chose est sûre en tout cas: il existe des zones d'ombre qui font qu'au Japon, la liberté de la presse et l'égalité entre journalistes ne sont pas respectées comme elles le devraient dans un pays aussi développé.




Le grand public en a-t-il conscience? A cette question l'auteur de ce blog aimerait bien répondre "oui", mais craint qu'hélas tel ne soit pas le cas. Sinon pourquoi ne réagit-il pas? Les citoyens nippons se fichent-ils comme d'une guigne de la liberté de la presse? Sont-il d'accord avec les méthodes ici dénoncées? On peut parfois s'interroger.
Selon un sondage, la moitié des Japonais a en effet trouvé normal que le Premier Ministre libéral et un brin nationaliste Shinzo Abe ORDONNE littéralement et officiellement en novembre 2006 au groupe public audiovisuel NHK de davantage parler du problème non résolu des Japonais kidnappés dans les années 1970 par les nord-Coréens... et s'offre des pages de publicité dans la presse pour s'en féliciter. Drôle de démocratie décidément.



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Japon: une drôle de démocratie...

... où le citoyen s'auto-censure

Publié par K. Poupée le Mercredi 18 Octobre 2006, 17:27 dans la rubrique Politique

ATTENTION CHERS LECTEURS : CET ARTICLE DATE DE 2006 ET DEPUIS LE PREMIER MINISTRE NIPPON A CHANGÉ A PLUSIEURS REPRISES:
2 FOIS, EN 2007 ET 2008,  ET UNE TROISIEME EN SEPTEMBRE 2009.


Ecouter

 

Fini de pérégriner. Rideau sur les salons, passons à des choses beaucoup moins triviales que les jeux vidéos et innovations high-tech, pour consacrer quelques lignes à la politique nippone, au moment où le Japon est confronté à un contexte délicat, avec la montée en puissance de la Chine et les provocations de la Corée du Nord (tirs de missiles, essai de bombe nucléaire).

 

Vous aurez sans doute remarqué, quoique la presse européenne ne fasse pas grand cas du Japon, que, depuis fin septembre 2006, les médias ne parlent plus du Premier ministre japonais Junichiro Koizumi. C'est que l'homme a totalement disparu du champ des objectifs et micros, ayant quitté ses fonctions le 26 septembre pour laisser la place à son dauphin du même parti (Parti Libéral Démocrate, PLD), Shinzo Abe.


Sans surprise, ce dernier avait été désigné dès le 20 septembre président du PLD, parti majoritaire au Parlement, et donc automatiquement nommé Premier Ministre, c'est-à-dire, numéro un de l'exécutif. L'Empereur japonais, symbole du peuple, n'a en effet pas de rôle politique autre que d'approuver des décisions auxquelles il ne prend pas part.

Depuis des mois, il ne faisait pas de doute que M. Abe serait à coup sûr le successeur de M. Koizumi, tant il dominait les autres postulants. Aucun suspens, quasiment aucun débat. Et cela fait des décennies que le même parti de droite dirige le pays, hormis un interlude socialiste de quelques mois au début des années 90.

 

Peu connu à l'étranger, M. Abe, âgé de 52 ans, est le premier Premier ministre japonais né après la fin de la Deuxième guerre mondiale dont le Japon est sorti vaincu et décimé.
Bien que n'ayant pas connu ce conflit, M. Abe y fait souvent référence, tout comme à la période de redressement de l'Archipel qui s'ensuivit. Petit-fils de Premier ministre (Nobusuke Kishi) et fils d'un ex-ministre des Affaires étrangères, le garçon était à bonne école pour s'entendre conter les histoires de l'époque.
Il a également fait ses classes aux Etats-Unis d'où il a rapporté une valise d'idées libérales que l'on retrouve aujourd'hui dans son discours, lequel est d'ailleurs pour l'heure un bel ensemble de théories illustrées de peu de réalisations pratiques.

Pour autant, le "jeune" Abe plait (surtout aux femmes, paraît-il). Immédiatement après son intronisation au poste du chef du gouvernement, son cabinet affichait dans les sondage un taux de confiance de 60 à 70%.
Son livre (populiste s'il en est), "Utsukushii kuni he" (Vers un noble pays), s'honorait de la première place au classement des ventes dans plusieurs librairies de Tokyo.

Mais ces faits, qui laissent croire que les Japonais ont porté au pouvoir comme un seul homme M. Abe sur la base d'un large consensus autour de ses idées, sont pour le moins trompeurs.

Car on ne peut pas dire que les Japonais se soient publiquement passionnés pour ce changement de gouvernement. Et pour cause, ils ne sont pas directement impliqués, comme le sont à l'inverse les Français lors d'une élection présidentielle, où le chef d'Etat est élu au suffrage universel direct. Au Japon, cette formule n'existe pas. La désignation du patron de l'exécutif passe par des canaux indirects, au terme de batailles de clans au sein des partis, sans que le citoyen lambda ait directement son mot à dire.

En outre, les Japonais rechignent à exprimer franchement et publiquement leur opinion politique. Ils ont tendance à dire tout haut ce qui est le moins gênant publiquement.

L'auteur de ce blog, qui se souvient de débats animés en France avec ses amis à l'approche de scrutins majeurs en 1981, 1988 et 1995, avant de débarquer sur l'Archipel, avoue ne pas avoir beaucoup l'occasion de disserter de questions politiques avec ses amis nippons, qui, soit s'en foutent comme d'une guigne, soit n'osent pas trop s'impliquer.
Dommage, car les sujets de discussions manquent pas a priori : relations diplomatiques, révision de la Constitution pacifiste, statut de la femme, immigration, évolutions démographiques...

En même temps, on ne peut s'interdire de penser que si la société nippone fonctionne si bien, c'est aussi parce que prévaut toujours un certain consensus, fût-il de façade, qui évite les bisbilles.

Qu'on ne se méprenne toutefois pas sur les propos tenus ici. Il ne s'agit pas de dire que les Japonais sont apolitiques. Ils lisent, s'informent, s'interrogent. Mais leur intérêt pour la chose reste souvent inavoué. L'opinion ressentie n'est pas exprimée.

La période qui s'ouvre en cette fin 2006 sera toutefois intéressante pour qui n'est pas indifférent à l'Histoire et à la politique japonaise.

Du fait de l'appétit et de la taille de la Chine, rivale éternelle, le Japon est contraint de s'activer pour amplifier son rôle sur la scène internationale. Comment? Question clef pour ce pays considéré comme étant souvent à la botte des Etats-Unis.

Quid des relations avec les voisins Chinois et Sud-Coréens détériorées par le précédent Premier ministre, en raison de ses visites répétées au sanctuaire patriotique Yasukuni à Tokyo où sont honorées, parmi plus de 2,5 millions d'âmes, celles de quatorze criminels de guerre.

Quid de l'article 9 de la Constitution japonaise qui interdit à l'Archipel de se doter d'armes offensives ou d'envisager l'option militaire comme moyen de règlement des conflits internationaux?

Dans son ouvrage écrit avant sa nomination, "utsukushii kuni he", que l'auteur de ce blog s'est a pris la peine de lire, le Premier ministre Abe laissait nombre de ces questions en suspens, comme si lui aussi rechignait à exprimer son opinion jusqu'au bout.
Il plaidait par exemple pour séparer la politique de l'économie afin de renouer le dialogue avec la Chine et la Corée du Sud, sans expliquer comment. Il annonçait son intention de réformer la Constitution, sans oser proposer pour autant une nouvelle rédaction claire de l'article 9. Il plaidait pour une réforme du système scolaire "à la façon de Thatcher" en Grande-Bretagne, mais sans dire clairement ce qu'il fallait changer et pourquoi, alors que le Japon est l'un des pays où le niveau d'éducation est le plus élevé...

Depuis sa nomination, Abe est resté presque tout aussi flou, n'hésitant pas, notamment sur les questions économiques, à reporter les discussions à plus tard, tout en répétant à l'envi "innovation, deuxième chance, ouverture".

 

Un signe: la bible du milieu des affaires, le Nihon Keizai Shimbun, dénonce tous les jours ce discours "ambigu".

La visite de bons offices de M. Abe en Chine et en Corée du Sud tout juste après son arrivée au pouvoir était assez théâtrale, qui n'est pas allée au fond des questions qui fâchent. L'essai nucléaire de la Corée du Nord qui a eu lieu simultanément a en outre fait diversion qui a forcé Chinois et sud-Coréens à condamner cet acte du régime de Pyonyang, au grand bonheur du Japon, premier à dénoncer cette grave provocation aux côtés des Etats-Unis.

Il n'y a d'ailleurs pour le moment que sur le cas nord-Coréen, son sujet de prédilection sur lequel il a bâti sa popularité, que M. Abe ose une position tranchée, appelant à des sanctions fortes pour punir ce régime coupable d'enlèvements de Japonais dans les années 70, ou de développement et tests de missiles ou bombes atomiques au mépris de la communauté internationale. Pour M. Abe, les sanctions économiques peuvent s'avérer efficaces vis-à-vis de dirigeants méprisables sans trop toucher les populations, qui n'en peuvent mais. L'homme en veut pour preuve la fin de l'Apartheid en Afrique du Sud à la suite des mesures prises par la communauté internationale. Les deux cas sont-ils vraiment comparables?

 

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