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par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Japon: une drôle de démocratie...

... où le citoyen s'auto-censure

Publié par K. Poupée le Mercredi 18 Octobre 2006, 17:27 dans la rubrique Politique - Lu 8874 fois - Version imprimable

ATTENTION CHERS LECTEURS : CET ARTICLE DATE DE 2006 ET DEPUIS LE PREMIER MINISTRE NIPPON A CHANGÉ A PLUSIEURS REPRISES:
2 FOIS, EN 2007 ET 2008,  ET UNE TROISIEME EN SEPTEMBRE 2009.


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Fini de pérégriner. Rideau sur les salons, passons à des choses beaucoup moins triviales que les jeux vidéos et innovations high-tech, pour consacrer quelques lignes à la politique nippone, au moment où le Japon est confronté à un contexte délicat, avec la montée en puissance de la Chine et les provocations de la Corée du Nord (tirs de missiles, essai de bombe nucléaire).

 

Vous aurez sans doute remarqué, quoique la presse européenne ne fasse pas grand cas du Japon, que, depuis fin septembre 2006, les médias ne parlent plus du Premier ministre japonais Junichiro Koizumi. C'est que l'homme a totalement disparu du champ des objectifs et micros, ayant quitté ses fonctions le 26 septembre pour laisser la place à son dauphin du même parti (Parti Libéral Démocrate, PLD), Shinzo Abe.


Sans surprise, ce dernier avait été désigné dès le 20 septembre président du PLD, parti majoritaire au Parlement, et donc automatiquement nommé Premier Ministre, c'est-à-dire, numéro un de l'exécutif. L'Empereur japonais, symbole du peuple, n'a en effet pas de rôle politique autre que d'approuver des décisions auxquelles il ne prend pas part.

Depuis des mois, il ne faisait pas de doute que M. Abe serait à coup sûr le successeur de M. Koizumi, tant il dominait les autres postulants. Aucun suspens, quasiment aucun débat. Et cela fait des décennies que le même parti de droite dirige le pays, hormis un interlude socialiste de quelques mois au début des années 90.

 

Peu connu à l'étranger, M. Abe, âgé de 52 ans, est le premier Premier ministre japonais né après la fin de la Deuxième guerre mondiale dont le Japon est sorti vaincu et décimé.
Bien que n'ayant pas connu ce conflit, M. Abe y fait souvent référence, tout comme à la période de redressement de l'Archipel qui s'ensuivit. Petit-fils de Premier ministre (Nobusuke Kishi) et fils d'un ex-ministre des Affaires étrangères, le garçon était à bonne école pour s'entendre conter les histoires de l'époque.
Il a également fait ses classes aux Etats-Unis d'où il a rapporté une valise d'idées libérales que l'on retrouve aujourd'hui dans son discours, lequel est d'ailleurs pour l'heure un bel ensemble de théories illustrées de peu de réalisations pratiques.

Pour autant, le "jeune" Abe plait (surtout aux femmes, paraît-il). Immédiatement après son intronisation au poste du chef du gouvernement, son cabinet affichait dans les sondage un taux de confiance de 60 à 70%.
Son livre (populiste s'il en est), "Utsukushii kuni he" (Vers un noble pays), s'honorait de la première place au classement des ventes dans plusieurs librairies de Tokyo.

Mais ces faits, qui laissent croire que les Japonais ont porté au pouvoir comme un seul homme M. Abe sur la base d'un large consensus autour de ses idées, sont pour le moins trompeurs.

Car on ne peut pas dire que les Japonais se soient publiquement passionnés pour ce changement de gouvernement. Et pour cause, ils ne sont pas directement impliqués, comme le sont à l'inverse les Français lors d'une élection présidentielle, où le chef d'Etat est élu au suffrage universel direct. Au Japon, cette formule n'existe pas. La désignation du patron de l'exécutif passe par des canaux indirects, au terme de batailles de clans au sein des partis, sans que le citoyen lambda ait directement son mot à dire.

En outre, les Japonais rechignent à exprimer franchement et publiquement leur opinion politique. Ils ont tendance à dire tout haut ce qui est le moins gênant publiquement.

L'auteur de ce blog, qui se souvient de débats animés en France avec ses amis à l'approche de scrutins majeurs en 1981, 1988 et 1995, avant de débarquer sur l'Archipel, avoue ne pas avoir beaucoup l'occasion de disserter de questions politiques avec ses amis nippons, qui, soit s'en foutent comme d'une guigne, soit n'osent pas trop s'impliquer.
Dommage, car les sujets de discussions manquent pas a priori : relations diplomatiques, révision de la Constitution pacifiste, statut de la femme, immigration, évolutions démographiques...

En même temps, on ne peut s'interdire de penser que si la société nippone fonctionne si bien, c'est aussi parce que prévaut toujours un certain consensus, fût-il de façade, qui évite les bisbilles.

Qu'on ne se méprenne toutefois pas sur les propos tenus ici. Il ne s'agit pas de dire que les Japonais sont apolitiques. Ils lisent, s'informent, s'interrogent. Mais leur intérêt pour la chose reste souvent inavoué. L'opinion ressentie n'est pas exprimée.

La période qui s'ouvre en cette fin 2006 sera toutefois intéressante pour qui n'est pas indifférent à l'Histoire et à la politique japonaise.

Du fait de l'appétit et de la taille de la Chine, rivale éternelle, le Japon est contraint de s'activer pour amplifier son rôle sur la scène internationale. Comment? Question clef pour ce pays considéré comme étant souvent à la botte des Etats-Unis.

Quid des relations avec les voisins Chinois et Sud-Coréens détériorées par le précédent Premier ministre, en raison de ses visites répétées au sanctuaire patriotique Yasukuni à Tokyo où sont honorées, parmi plus de 2,5 millions d'âmes, celles de quatorze criminels de guerre.

Quid de l'article 9 de la Constitution japonaise qui interdit à l'Archipel de se doter d'armes offensives ou d'envisager l'option militaire comme moyen de règlement des conflits internationaux?

Dans son ouvrage écrit avant sa nomination, "utsukushii kuni he", que l'auteur de ce blog s'est a pris la peine de lire, le Premier ministre Abe laissait nombre de ces questions en suspens, comme si lui aussi rechignait à exprimer son opinion jusqu'au bout.
Il plaidait par exemple pour séparer la politique de l'économie afin de renouer le dialogue avec la Chine et la Corée du Sud, sans expliquer comment. Il annonçait son intention de réformer la Constitution, sans oser proposer pour autant une nouvelle rédaction claire de l'article 9. Il plaidait pour une réforme du système scolaire "à la façon de Thatcher" en Grande-Bretagne, mais sans dire clairement ce qu'il fallait changer et pourquoi, alors que le Japon est l'un des pays où le niveau d'éducation est le plus élevé...

Depuis sa nomination, Abe est resté presque tout aussi flou, n'hésitant pas, notamment sur les questions économiques, à reporter les discussions à plus tard, tout en répétant à l'envi "innovation, deuxième chance, ouverture".

 

Un signe: la bible du milieu des affaires, le Nihon Keizai Shimbun, dénonce tous les jours ce discours "ambigu".

La visite de bons offices de M. Abe en Chine et en Corée du Sud tout juste après son arrivée au pouvoir était assez théâtrale, qui n'est pas allée au fond des questions qui fâchent. L'essai nucléaire de la Corée du Nord qui a eu lieu simultanément a en outre fait diversion qui a forcé Chinois et sud-Coréens à condamner cet acte du régime de Pyonyang, au grand bonheur du Japon, premier à dénoncer cette grave provocation aux côtés des Etats-Unis.

Il n'y a d'ailleurs pour le moment que sur le cas nord-Coréen, son sujet de prédilection sur lequel il a bâti sa popularité, que M. Abe ose une position tranchée, appelant à des sanctions fortes pour punir ce régime coupable d'enlèvements de Japonais dans les années 70, ou de développement et tests de missiles ou bombes atomiques au mépris de la communauté internationale. Pour M. Abe, les sanctions économiques peuvent s'avérer efficaces vis-à-vis de dirigeants méprisables sans trop toucher les populations, qui n'en peuvent mais. L'homme en veut pour preuve la fin de l'Apartheid en Afrique du Sud à la suite des mesures prises par la communauté internationale. Les deux cas sont-ils vraiment comparables?

 


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Commentaires

Je tiens tout d'abord à feliciter l'auteur de ce blog, celui-ci étant assez différent des traditionnels blogs d'expats, ce qui est loin d'être un mal.

Pour en revenir à ton article, il est vrai que la campagne présidentielle française approchant à grand pas, en ressent ici une certaine agitation, et les débats d'idées entre potes se découvrant politiquement moins proche qu'il n'y paraissait, commencent à se multiplier un peu partout. C'est parfois tendu, souvent très chaud, et l'auto-censure est plus que rangé au placard. Mais je pense que c'est l' Histoire et le tempérament latin des français qui impliquent cela: on a bien décapité notre cher majesté, inimaginable au Japon.
Les japonais adeptes du consensus et de l'homogénéïté de la société (bien que ce dernier point tend à être remis en question, notamment par les jeunes (vivent les shibuyettes)- mais vu qu'il y a de moins en moins de jeunes....) semblent être moins passionnés par la politique, mais cela est-il une façade de plus ou bel et bien la réalité? Je ne sais pas, et tu connais le Japon bien plus que moi pour répondre à cette question.
Il est vrai que cela pourrait être frustrant de ne pas pouvoir disserter de sujets politiques avec les premiers interessés, nos chers amis japonais (enfin j'en ai pas encore, mais le jour viendra..).

Pour en revenir à la question de la révision du très controversé Article 9 de la constitution japonaise, à ce que j'en ai compris de France, Mr. Abe est plutôt un chaud partisan. Cela veut-il dire qu'il a "les mains libres" pour cette profonde réforme (bien qu'actuellement ce ne serait pas très judicieux de s'y atteler), ou l'opinion publique qu'on dit volontier pacifiste (2 bombes atomiques dans la tête, ça fait plus que réfléchir..) pèsent dans le sens inverse ?
On peut être pour ou contre cette réforme, mais se poser cette question me parait tout à fait normal quand on vit au côté d'un phoenix renaissant de ses cendres, programmé pour devenir la première puissance économique mondiale dans la seconde moitié du 21 ème siècle. Et surtout à côté d'un personnage très sympathique en la personne de Mr. Kim Jong iL, président roi d'un état à bout de souffle, sous perfusion chinoise et pression américaine. Qui sait de quoi il serait capable? Un petit dernier baroud d'honneur n'est pas à exclure, et dès lors le Japon a de quoi s'inquiéter.

"La raison du plus fort est toujours la meilleure", dixit Lafontaine.
Mais il y a des fois, pas souvent c vrai mais qd même, ou ce n'est pas le plus riche qui gagne, mais celui qui n'a plus rien à perdre.

Sur ce, pour faire court car pour un comm c plutôt long (C vrai que dès que je parle du Japon...), je te souhaite bonnes continuations.

A la prochaine.

Sagat - 19.10.06 à 05:48 - # - Répondre -

Problème historique ?

Après avoir lu "L'histoire des 3 Adolf", je me demande si ce sentiment de ne pas s'impliquer dans les critiques de la vie politique nippone n'est pas liée à l'histoire du pays. Ce sentiment ne serait-il pas un désaveux de la politique très "cachotière" d'avant-guerre qui aurait poussé les japonnais à se désintéresser de ces "nids de vipères" ? Je veux dire, ayant été "abusés" et "exhaltés" par leur gouvernement, ils ont quand même de sacré bonne raison de leur en vouloir. D'où l'idée qu'ils refusent l'implication ou méprise la politique actuelle.

Mon idée ne tient pas debout en ce qui concerne la jeunesse qui n'a pas connue la guerre, je m'en rend bien compte, mais... Mais je n'ai pas d'autre explication. A moins que de votre côté...

QCTX - 03.11.06 à 23:22 - # - Répondre -

Lien croisé

Démocratie Japonaise : "se par des canaux indirects, au terme debatailles de clans au sein des partis, sans que le citoyen lambda aitdirectement son mot à dire.Enoutre, les Japonais rechignent à exprimer franchement et publiquementleur opinion politique. Ils ont tendance à dire tout haut ce qui est lemoins gênant publiquement.[ La suite de l'article le blog de source ! un execellent site a découvrir ! ][/center]"

anonyme - 08.09.09 à 00:06 - # - Répondre -

Lien croisé

Démocratie Japonaise : "se par des canaux indirects, au terme debatailles de clans au sein des partis, sans que le citoyen lambda aitdirectement son mot à dire.Enoutre, les Japonais rechignent à exprimer franchement et publiquementleur opinion politique. Ils ont tendance à dire tout haut ce qui est lemoins gênant publiquement.[ La suite de l'article le blog de source ! un execellent site a découvrir ! ][/center]_________________"

anonyme - 04.06.11 à 18:53 - # - Répondre -

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sping - 08.11.11 à 18:10 - # - Répondre -

Merci

Cette situation, bien que frustrante pour certains, reflète une culture profondément ancrée dans l'harmonie sociale.

 

anonyme - 19.08.24 à 21:39 - # - Répondre -

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