En direct de Tokyo ...

par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Pourquoi au Japon on ne rit pas des effets de Fukushima

Publié par K. Poupée le Lundi 16 Septembre 2013, 13:23 dans la rubrique International

(AFP 13 septembre 2013 - Karyn Poupée)

Insultes d'internautes, stupeur de la presse, protestation du gouvernement: des Japonais ont été outrés par des dessins parus dans Le Canard Enchaîné sur les effets de l'accident atomique de Fukushima, un motif de discrimination sur lequel beaucoup ne plaisantent pas.

"A mort ! C'est de la merde !", "c'est de la discrimination, du graffiti du plus bas niveau humain qu'il soit", "la France, un pays détestable de dernier rang", "si c'est le mode d'expression habituel en France, c'est déplorable": les phrases haineuses ont fusé sur internet lorsque des Nippons ont découvert dans leurs journaux deux caricatures publiées cette semaine dans Le Canard Enchaîné.

"Les Japonais ne comprennent pas la liberté d'expression. Ici, les propos injurieux sont possibles, pas la satire à l'occidentale", tranche un Japonais francophile, Ken Itagaki de Nagasaki.

"Encore les médias français!", a pour sa part titré le journal populaire de centre gauche Mainichi Shimbun au-dessus des deux caricatures incriminées, faisant référence à un incident du même acabit survenu il y a un an lorsque l'animateur de télévision Laurent Ruquier avait parlé de "l'effet Fukushima" en montrant un photo-montage du gardien de but de l'équipe japonaise de football, Eiji Kawashima, avec quatre bras.

Cette fois, le dessin qui a le plus indigné est signé Cabu. Accompagnant un article très factuel sur les problèmes d'eau radioactive à la centrale ravagée, il montre deux lutteurs émaciés coiffés d'un chignon, dont un avec trois jambes et l'autre trois bras, et un commentateur sportif disant: "Marvellous, grâce à Fukushima, le sumo est devenu discipline olympique".

"Ce genre de caricatures blesse les sinistrés de la catastrophe du 11 mars 2011 et véhicule des informations fausses sur le problème de l'eau radioactive à la centrale Fukushima Daiichi. C'est extrêmement regrettable", a réagi le porte-parole du gouvernement, Yoshihide Suga, lors d'un point de presse, avant d'ordonner à l'Ambassade du Japon à Paris protester officiellement auprès du Canard.

"Au Japon, cette image est prise pour de la discrimination à l'égard des personnes qui ont subi les radiations et qui sont sur le dessin présentées comme étant différentes des autres, avec trois bras ou trois jambes", explique un dessinateur nippon de manga. "Or, il faut savoir que des gens de Fukushima subissent déjà une forme de ségrégation au Japon."

"Si, au lieu de sumotori déformés, il s'était agi d'un dessin caricaturant le Premier ministre ou le porte-parole du gouvernement, cela n'aurait posé aucun problème", ajoute-t-il.

Qui plus est, le sujet des effets de la radioactité est d'autant plus sensible qu'il touche aussi les victimes des bombes atomiques américaines larguées sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945.

Sans compter que "la plupart des Japonais ignorent quel type de publication est Le Canard Enchaîné", souligne Kazuya Onaka, professeur des études françaises et européennes à l'Université Hosei.

"Il n'y a pas dans le paysage médiatique japonais ce type de journal qui accorde une place aussi importante à la caricature", justifie-t-il.

"Le problème, c'est que les journaux nippons n'ont pas traduit l'article et se sont contentés de publier le dessin sans les éléments de contexte indispensables à sa compréhension, tandis que le gouvernement essaie d'effacer tout ce qui est négatif au sujet de Fukushima ou des JO. Du coup, il a surréagi."

L'hedomadaire français, lui, "assume ces dessins sans le moindre état d'âme", selon une déclaration à l'AFP de Louis-Marie Horeau, son rédacteur en chef.

"En France, on peut traiter une tragédie par l'humour, apparemment, ce n'est pas le cas au Japon", a-t-il déploré.

Et de renvoyer la responsabilité aux autorités nippones: "s'il y a matière à s'indigner, c'est de la manière dont a été gérée la crise par le gouvernement japonais".

"La France et le Japon doivent comprendre mutuellement le fossé culturel qui les sépare", conclu un anonyme sur son blog.

Voir aussi à ce sujet  le manga de J.P. NISHI: http://tokyo.viabloga.com/news/l-affaire-des-dessins-de-fukushima-par-cabu-dans-le-canard-enchaine

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"Au-delà du nuage", témoignages bruts sur le drame du 11 mars 2011 au Japon

article AFP

Publié par K. Poupée le Mercredi 11 Septembre 2013, 18:39 dans la rubrique International

"Le noir et blanc s'est imposé immédiatement quand je suis allée dans les zones dévastées. Le gris dominait, en fait il n'y avait pas de couleurs", raconte Keiko Courdy, auteur d'un web-documentaire titré "Au-delà du nuage" sur le tsunami et la catastrophe atomique du 11 mars 2011 au Japon.

Ce jour-là, le pire vécu par les Japonais depuis la Deuxième guerre mondiale, cette artiste française était en France: mais elle ne put s'empêcher de revenir dans sa deuxième patrie meurtrie où elle a longtemps vécu.

"C'était une sorte de nécessité d'être là-bas et d'agir. Je savais que je voulais faire quelque chose, je ne savais pas comment. J'ai pris ma caméra, j'ai loué une voiture et longé la côte, de Morioka à Rikuzentakata", raconte-t-elle à l'AFP.

De ce périple, émaillé de rencontres avec des habitants de la région saccagée, des artistes, des personnalités politiques, des écrivains, des journalistes, elle a tiré une vingtaine d'entretiens exclusifs, matière première d'un web-documentaire réalisé avec Jérôme Sullerot, et d'un film de plus d'une heure et demie, intitulés "Au-delà du nuage". (http://www.yonaoshi311.com/#/FR/home).

"Le web-documentaire donne la liberté à celui qui le regarde de découvrir un univers de façon libre et interactive. Pour l'auteur, c'est un moyen de faire un travail de fond, beaucoup plus que dans le film, certes poignant, mais où il y a moins d'espaces d'expression", explique l'auteur.

Malgré l'absence de couleurs dans un paysage rasé par la déferlante qui s'est abattue sur plus de 500 kilomètres de littoral, le résultat est nuancé.

"Je n'ai pas voulu faire un film tout noir ou tout blanc, car la situation est extrêmement complexe: on ne sait pas où est la vérité, où est le mensonge", insiste-t-elle.

Cette difficulté à apprécier le danger de la radioactivité, de la nature, est tout entière contenue dans le témoignage émouvant de Risa Yamada, une lycéenne de 17 ans, qui vit à Minami-Soma, à une vingtaine de kilomètres du complexe atomique Fukushima Daiichi.

"Les gens parlent de la peur, de l'impossibilité de vivre ici. Ils disent que ce n'est pas un endroit à habiter, on entend cela partout. Mais on est bien vivant. C'est une réalité et cela ne va pas changer. On ne sait pas quels seront ensuite les dommages pour la santé, mais aujourd'hui on veut juste que les gens n'oublient pas que l'on vit ici", dit-elle, toujours souriante.

"Oui, c'est choquant de voir des Japonaises dire qu'elles ne sont pas contre l'énergie nucléaire alors que leurs champs ne sont pas cultivables", confirme Keiko Courdy, "mais j'ai voulu livrer bruts ces témoignages".

"Les Japonais sont des gens que l'on ne comprend pas d'emblée, on a l'impression qu'ils ne se rendent pas compte, mais c'est la réalité, c'est leur façon de penser et de vivre et c'est ainsi que j'ai souhaité la montrer parce qu'on ne peut pas la nier".

"Aujourd'hui, la réalité nous dit qu'il faut arrêter les centrales nucléaires, mais la question est de savoir comment faire. Chacun, personnellement, doit y réfléchir", dit Jiro Taniguchi "déprimé par son impuissance" et l'inutilité ressentie de son métier de dessinateurs de manga.

"Beaucoup de gens réfléchissent, sont actifs, réagissent, même s'ils ne sont pas dans les manifestations", souligne Keiko Kourdy qui a aussi suivi dans les cortèges à Tokyo des militants antinucléaires de longue date, tel le journaliste Satoshi Kamata.

"Les centrales nucléaires sont dangereuses, j'aurais dû crier plus fort, être plus actif, je m'en veux", répète-t-il.

"Le 11 mars a été le déclencheur principal qui m'a fait envisager le dénucléarisation, quand on m'a présenté le scénario du pire, avec l'évacuation générale jusqu'à la région de Tokyo", confie encore Naoto Kan, ex-Premier ministre en fonction au moment du drame.

Au-delà de l'accident nucléaire, "n'oublions pas les victimes du tsunami", insiste aussi Keiko Courdy.

"Plus une seule personne ne veut vivre ici", avoue devant les ruines de sa maison d'enfance le photographe Naoya Hatakeyama, originaire de la côte de Rikuzentakata, rasée, une autre réalité difficile à appréhender.

"J'aurais voulu avoir une bonne idée pour mieux montrer l'ampleur de la dévastation", s'excuse presque Keiko Courdy.

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Le sort méconnu de Japonais en Nouvelle-Calédonie

Travailleurs de mines arrêtés par la France et déportés en Australie

Publié par K. Poupée le Mercredi 11 Septembre 2013, 10:59 dans la rubrique International

(article écrit pour l'Agence France-Presse - AFP- le 4 septembre 2013)
par Karyn POUPEE

Chevelure fournie blanche ondulée, yeux fixant un point au loin, la nonagénaire Marcelle raconte. Elle est une des 13 enfants de Zenjiro Uichi, un Japonais émigré il y a plus d'un siècle en Nouvelle-Calédonie comme travailleur dans les mines de nickel et interné en 1942 en Australie sur ordre des autorités françaises.

"Mon père n'était plus là. C'est donc moi qui ai dû aider ma mère à accoucher de mes deux derniers frère et soeur jumeaux", se souvient Marcelle lors d'une rencontre près de Poindimié, dans la Province Nord de ce territoire français du Pacifique.

Son père était originaire d'Okinawa. Il avait débarqué en 1910 en Nouvelle-Calédonie avec plus de 500 compatriotes, de la même région méridionale nippone mais aussi d'autres provinces, après avoir parcouru 8.000 kilomètres en bateau.

L'arrivée de Japonais correspondait à une nouvelle campagne de recrutement de travailleurs nippons après celles de 1892 et 1900.

"Quand les premiers Okinawaïens sont arrivés en 1905 comme ouvriers, on leur a donné une pelle et une pioche et on leur a dit, il faut couper la montagne. Ils se sont dit, +on n'est pas venus pour cela+. Ils avaient en tête l'image des travailleurs envoyés à Hawaï rentrés avec de l'argent après avoir exploité la canne à sucre. Mais là, c'était la mine", raconte Marie-José Michel, consul honoraire du Japon à Nouméa.

Une partie de ces Okinawaïens a déchanté et fui dans la brousse. "Ils se sont convertis en pêcheurs, agriculteurs et se sont installés sur toute la côte", ajoute Mme Michel, une descendante de troisième génération.

"Mes deux grands-pères étaient japonais et ma grand-mère maternelle ne cessait d'y faire allusion. Elle admirait le côté très serviable, travailleur, généreux des Japonais", confie-t-elle.

Le père de Marcelle, lui, a fait tous les métiers: coiffeur, maçon, menuisier, soudeur, pêcheur, commerçant, restaurateur, charpentier de marine.

Outre les quelque 800 immigrants d'Okinawa, la Nouvelle-Calédonie a accueilli entre 1892 et 1919 plus de 4.500 travailleurs nippons de Fukushima, Hiroshima, Kumamoto et d'autres provinces.

Mais à partir de 1914, ces Japonais ne pouvaient plus rentrer au pays: c'était la Première guerre mondiale, le franc (qui avait aussi cours en Nouvelle-Calédonie) était dévalué et il était honteux pour ces mineurs de rentrer sans argent. Ils se sont alors installés avec des femmes locales.

Las, 7 décembre 1941: les avions japonais attaquent la base américaine de Pearl Harbor, précipitant l'entrée des Etats-Unis dans la Deuxième guerre mondiale. La vie tranquille des Japonais de Nouvelle-Calédonie vire au cauchemar. Considérés comme des ennemis des alliés, les ressortissants du Japon sont arrêtés sur ordre du gouverneur Henri Sautot rallié à la France Libre. Les hommes et les rares familles entièrement nippones sont envoyés dans des camps australiens.

"Le trajet en bateau durait trois jours durant lesquels les détenus étaient fort maltraités par les soldats français", affirme l'historienne Yuriko Nagata qui précise: "mis à fond de cale dans l'obscurité totale, ils étaient contraints de dormir sur un sol de métal, n'étaient autorisés à monter sur le pont qu'une fois en tout, pendant 30 minutes".

Les femmes d'autres origines et enfants métis ont été laissés libres en Nouvelle-Calédonie, mais tous les biens japonais ont été séquestrés. L'attitude vis-à-vis des personnes d'origine nippone a changé du tout au tout. "Des parents d'élèves demandaient à l'instituteur que leur enfant ne soit plus assis à côté d'un descendant de Japonais, la boucherie ne servait plus les Japonais, etc.", raconte Mme Michel.

Malgré cette rupture et ces vexations, il a fallu se couler dans le moule calédonien et parfois changer de nom. "Quand mon père est allé à 14 ans demander du travail à un chef mécanicien, on lui a dit, +Takamoune, je pourrais te trouver un emploi, mais t'es d'origine japonaise alors faut que tu changes de nom, que tu prennes celui de ta mère+. Donc mon père s'appelle M. Takamoune dit René Chabaud! C'était un cas parmi tant d'autres", explique la consul.

Les Japonais de 2e génération ont grandi ainsi, tête baissée et sans mot dire, tout en ayant un profond sentiment d'origine japonaise. Puis ils ont compris, et leurs descendants encore davantage, qu'ils n'étaient pas coupables mais héritiers de cette histoire et qu'il fallait la transmettre pour avancer. "Nous avons vu nos parents souffrir. Nous avons pris cette souffrance et avons tenté de l'apaiser en recouvrant nos origines", justifie Mme Michel.

Pourtant, ces descendants de Japonais n'ont aucune connaissance de la langue nippone et ne savent pas grand chose de la vie de leurs ancêtres avant leur venue en Nouvelle-Calédonie. Quant aux proches de ces émigrés restés au Japon, ils ignoraient presque tout des pérégrinations de leur parent.

La Néo-Calédonienne Oto raconte ainsi comment son frère Félix a rencontré pour la première fois, au soir de sa vie, leur demi-soeur japonaise, née trois ans avant le départ de leur père commun pour les contrées françaises du Pacifique. "Je n'ai jamais su que mon père était mort noyé en Nouvelle-Calédonie. En 1928, il m'avait écrit +je suis là pour travailler, et l'argent que je vais rapporter, ce sera pour payer ton mariage+", a raconté cette demi-soeur nippone, restée sans nouvelle pendant trois quarts de siècle.

Marcelle eut plus de chance. Après avoir été interné en Australie et rapatrié de force au Japon à l'issue de la guerre, son père Zenjiro revint en Nouvelle-Calédonie en 1954. Il rouvrit l'hôtel-restaurant qu'il gérait autrefois, se convertit au catholicisme et décéda en 1980 à 91 ans, avant d'être décoré à titre posthume de l'Ordre du Trésor sacré par l'Empereur japonais.

Aujourd'hui, on dénombre entre 8.000 et 10.000 descendants de Japonais en Nouvelle-Calédonie, une communauté qui s'étend sur six générations.

"Les descendants des 5e et 6e générations savent qu'ils ont des antécédents japonais, et quand ils achètent un appareil électronique, ils choisissent une marque japonaise. Et puis les mangas nous aident", souligne Mme Michel, "car ils encouragent les enfants à apprendre le japonais. Ils sont intéressés par la culture nippone et ont très envie d'aller au Japon".

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Lettre ouverte publiée dans le Nouvel Economiste (N°1447, du 02 au 08 octobre 2008)

Je vous écris de Tokyo

Publié par K. Poupée le Mardi 7 Octobre 2008, 18:06 dans la rubrique International

Quel incroyable pays ! J’ai découvert le Japon il y a onze ans,j’y vis,mais rien n’y fait, chaque jour, cette même exclamation intérieure,dans le métro,au bureau,en traversant Tokyo à vélo,en parcourant les journaux,en écoutant la radio : quel incroyable pays ! Le Premier ministre qui jette l’éponge un soir sans crier gare,à 21H35,trois jours après avoir lancé un vaste plan de relance économique, un mois après un remaniement ministériel,un an à peine après son entrée en fonction: quel incroyable pays ! Un voisin qui s’entraîne à jouer au golf à une heure du matin au milieu d’une rue de Tokyo : quel incroyable pays ! Des femmes de 70 ans qui poireautent dès potron-minet devant le pas de porte d’un pâtissier,pressées de déguster le délice spécial du jour : quel incroyable pays ! Des météorologues contraints de se confondre en excuses devant une forêt de caméras,appareils photo et micros pour s’être trompés sur la date de floraison des cerisiers : quel incroyable pays !
Pourtant prévoyants comme personne, les Japonais sont déconcertants, insondables,pétris de paradoxes,donc fascinants et du coup,profondément attachants.On ne dira pas qu’ils sont faciles à vivre,car ce serait faux. Qu’ils sont invivables alors ? Oh non,pas davantage. Leurs actes semblent au premier abord inexplicables car ils ne réagissent pas comme le bon sens hexagonal l’exigerait. C’est déstabilisant,agaçant.Ou plutôt non, c’est passionnant. Leur mode de raisonnement n’est tout bonnement pas le nôtre et la logique française devient ici inopérante.La mentalité du
Nippo-sapiens est forgée par une culture,une langue,une histoire,une géographie et moult contraintes sociales.Il est donc inique de les juger sur la base de critères occidentaux. Forces et faiblesses de caractère du Nippo-sapiens.
 


 


 

Si je devais choisir cinq termes pour décrire les Japonais,je ne dirais pas : fous de boulot, machistes,xénophobes,copieurs et gadgétophiles (qualificatifs qui reposent sur un fond de vérité mais qui transcrivent une vision caricaturale trop largement répandue à
l’étranger). 
J’opterais pour :
exigeants,exercés,excessifs,extravagants,exquis.

Exigeants.
Les Japonais cherchent la perfection.Tout doit être réglé comme du papier à musique.Etre à l’heure au Japon,ce n’est pas à cinq minutes près,mais à la seconde.Cela en impose,à chacun.Il faut s’organiser.Mais on se plie d’autant plus volontiers au rythme collectif imposé qu’on savoure réciproquement le bonheur de ne pas être à la merci du je m’en-foutisme d’autrui.Les rendez-vous d’affaires commencent à l’heure dite. Les trains sont d’une ponctualité sidérante malgré une fréquence infernale.Les boutiques ne ferment pas dix minutes avant l’horaire affiché.Les programmes de télévision n’alignent pas en permanence un écart de dix ou quinze minutes par rapport à la grille annoncée. Les industriels japonais sont de la même façon obsédés par le respect des délais, par les détails et l’absence de défauts.Tout est pratique au Japon, efficace,bien pensé. Ils ne se satisfont pas de compromis bancals. Ils visent le top-niveau et ne cessent de se fixer des objectifs toujours plus élevés. Pragmatiques, les Nippons s’attachent à résoudre un à un les problèmes rencontrés avec patience et témérité.Cette incessante quête de mieux constitue le ferment de l’inventivité nippone,le secret des innovations,la clef de la renommée et du triomphe de fleurons nippons tels que Toyota (automobile),Canon (photo) ou Sony (matériel audiovisuel). L’exigence d’excellence collective est cependant telle que les erreurs ou tromperies avérées tournent vite au scandale,montées en épingle par des médias ultra-puissants et impitoyables avec les déviants.

Exercés.
Les Japonais veulent arriver au maximum de leurs capacités. L’entraînement répétitif est selon eux le meilleur moyen d’y parvenir.L’écriture des kanji (idéogrammes) s’apprend ainsi,en copiant et recopiant.L’imitation de gestuelles codées est une méthode qui vaut dans moult activités professionnelles (commerces,usines) comme dans les disciplines sportives et artistiques. Le développement des outils et des robots s’appuie sur les mêmes ressorts. L’humain étant la machine la plus perfectionnée,ils dissèquent son fonctionnement cognitif et physique,puis le reproduisent artificiellement pour libérer l’homme de tâches ingrates, pénibles, dégradantes ou dangereuses.Voilà pourquoi les robots industriels nippons sont si perfectionnés et les humanoïdes mécatroniques perçus comme des amis dévoués.

Excesssifs.
Les Japonais ont une tendance à la démesure,à la surexploitation de leurs richesses, succès et atouts comme à l’exagération de leurs problèmes.Ainsi en fut-il des excès financiers dans la période d’euphorie des années 1980, investissements inconsidérés qui ont dégénéré en bulle spéculative dont l’éclatement a brutalement déstabilisé l’économie du pays,au point qu’il mit près d’une décennie à s’en remettre.Excès encore lorsque l’engouement pour les jeux vidéo et autres univers virtuels de fiction finit par désocialiser des individus qui ont perdu le sens des réalités.Excès toujours lorsque les hommes politiques ou autres décideurs prennent à toute hâte des mesures radicales en réponse à un problème amplifié par la presse,sans mesurer les dommages collatéraux de leurs décisions. Excès également quand ils s’acharnent à tout vouloir connaître et contrôler, parce qu’ils exècrent l’improvisation. Excès aussi peut-être lorsque les Japonais voient dans les technologies la solution à leurs handicaps géographiques et maux sociaux,parfois au détriment de la vigilance et des relations humaines,et ce parce que jusqu’à présent leurs prouesses techniques leur ont permis de hisser au rang de deuxième puissance économique du monde un archipel sorti exsangue de la Deuxième Guerre mondiale,en proie à maintes catastrophes naturelles récurrentes et dépourvu de ressources naturelles lucratives.

Extravagants.
Les Japonais surprennent par des attitudes ou des pratiques sociales massives.
Les booms commerciaux, accompagnés de méga-campagnes publicitaires incontournables, se succèdent à un rythme stupéfiant, atteignant des proportions époustouflantes par mimétisme, matérialisme et fétichisme. Le peuple se rue comme un seul homme dans un nouveau lieu branché, se jette sur tout type de nouveau produit savamment promu.Des livres se vendent au Japon à plusieurs millions d’exemplaires en quelques semaines,avant d’être adaptés en série TV culte elle-même déclinée en film qui caracole en tête au box-office accompagné d’un lot incommensurable de produits dérivés,et ce,quel qu’en soit le thème.

Exquis.

Les Japonais étonnent enfin par leur raffinement,par leur attachement à la qualité des produits et services magnifiquement illustrée par les mets japonais.Ils affectionnent les marques et vieilles maisons héritières d’une tradition bien entretenue,et n’ont que mépris pour les contrefaçons.Les Nippons épatent enfin par leur serviabilité et affabilité même si,dans les commerces ou relations professionnelles, elles ne sont que formelles et déconnectées de tout sentiment affectif.

Défaillance du politique, surpuissance des médias
Ces traits de caractère sont à la fois les forces et les faiblesses des Japonais au moment où la suprématie du pays du Soleil-Levant en Asie est de plus en plus contestée par la Chine, populeuse et ambitieuse.Le Japon,dont la population décline, souffre d’un déficit politoco-
diplomatique patent.Privilégiant les questions intérieures et l’opinion publique, les dirigeants japonais apparaissent souvent comme des seconds couteaux maladroits, voire naïfs,dans les instances internationales.Les psychodrames récurrents à la tête du gouvernement (trois changements de Premier ministre en deux ans,ponctués de plusieurs remaniements, bévues et affaires politico-financières) plombent la crédibilité du Japon à l’extérieur. Ils minent le moral des citoyens, lequel est fragilisé par un tourbillon de nouvelles anxiogènes (inflation,crise financière mondiale,,inégalités sociales, insécurité alimentaire) et par une titraille alarmiste qui barre les unes de la presse et d’innombrables
ouvrages.Affolés outre mesure par une conjoncture internationale morose
qui amoindrit les exportations et pénalise l’économie nationale,les Japonais semblent insensibles aux bonnes nouvelles.Même si le taux de chômage oscille autour de seulement 4,0 %,les personnes en recherche d’emploi voient surtout que les demandes surpassent les offres,et les travailleurs constatent pour leur part que le montant inscrit au bas de leur feuille de paye est, désespérément, toujours le même,oubliant qu’ils sont aussi gratifiés de substantielles primes bisannuelles ou que les entreprises se disputent les futurs diplômés plus d’un an avant la fin de leur cursus.
Les citoyens, déboussolés, perdent confiance,ne font plus d’enfant,par anxiété disproportionnée, peur du lendemain.Leur prudence extrême grippe un moteur essentiel de la croissance,la consommation intérieure,et met en péril l’avenir de la société.Peut-être devraient-ils davantage voyager, prendre de la distance. Ainsi comprendraient-ils que leur situation est à bien des égards enviable et que vivre au Japon est un privilège.

Karyn Poupée (AFP Tokyo pour le Nouvel Economiste).
Disponible en téléchargement gratuit:

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Face aux missiles nord-coréens...

...les gadgets high-tech ne font pas le poids

Publié par K. Poupée le Mercredi 5 Juillet 2006, 21:05 dans la rubrique International


Quand on dit que le Japon est le pays de la high-tech, le moins que l'on puisse ajouter, c'est qu'il le prouve en permanence. Il ne se passe pas un jour sans une bardée d'annonces de nouveaux produits, époustouflants le plus souvent.
Toutefois, si on avait aujourd'hui bien l'intention de vous faire baver d'envie en vous présentant les nouveautés dévoilées ces dernières heures, le coeur n'y était pas.

Car en ce mercredi 5 juillet 2006, il s'est passé au Japon des choses autrement moins réjouissantes, et même extrêmement inquiétantes.



La voisine Corée du Nord, dont on ne parle généralement à l'étranger que pour ses présupposés développements nucléaires, s'est amusée à tirer pas moins de sept missiles balistiques en direction du Japon. Tous se sont heureusement abimés en mer, à plusieurs centaines de kilomètres des côtes nippones, mais il n'empêche...




d'un seul coup, ça fait froid dans le dos
.


Selon le gouvernement Japonais, le régime de Pyongyang, que les Américains et les Nippons soupçonnaient depuis plusieurs semaines, grâce à leurs satellites espions, de préparer des essais de missiles, ont effectivement procédé à six tirs mercredi matin, entre 3H30 et 8H20 locales et à un septième à 17H22.




De notre appartement de Tokyo, au onzième étage d'un récent building, on a rien entendu ni vu, mais les gens de Niigata, à l'autre du bout du Japon (ouest) et plus encore ceux de l'île de Sado, ont assuré aux médias avoir été supris par la rougeur du ciel à l'aube. Pour votre information, le jour se lève très tôt en été au Japon, vers 4H30 environ.







On pourrait croire que les journalistes adorent ce genre de situation de crise, parce que ça leur confère soudain une immense responsabilité.  Mais, ce n'est pas le cas de tous, et pas le nôtre en l'occurrence.

Tout simplement parce que dans ce genre de cas, comme dans nombre d'autres d'ailleurs, les journalistes ne sont pas aux premières loges.
De fait, ça peut-être aussi extrêmement frustrant.

Car on n'a pas forcément sous la main les informations à envoyer en urgence au bout du monde. Et le risque de manipulation n'est pas exclu, qui plus est.

Alors, on est là devant son ordinateur, on regarde les déclarations des hommes politiques à la télé, on écoute les avis des experts, on recueille les réactions des simples citoyens, mais on ne peut guère faire plus.

On voudrait deviner ce qui peut se passer ensuite, mesurer vraiment le niveau de gravité de l'événement, comprendre quels sont les objectifs des uns et des autres, décrypter le vrai du faux dans les mots, mais à vrai dire, on en est fichtre incapables.


Et quand on en parle avec les collègues journalistes japonais, qu'on leur demande ce qu'ils en pensent, eux, en tant que simples citoyens, on sent une réelle gêne. Ils n'ont pas l'habitude de donner leur opinion personnelle sur ces sujets sensibles.




Les experts de politique internationale au Japon jugent, pour leur part que, par les tirs de missiles de mercredi, la Corée du Nord veut montrer au monde, et aux Américains en priorité, de quoi elle est capable.
Ces "provocations", selon les commentateurs, vont raviver la peur dans l'opinion publique et accélérer dans la foulée le déploiment du bouclier anti-missiles que les Japonais préparent depuis des années avec leur allié Américain
, sous la protection duquel l'archipel est de facto placé.
Ce bouclier anti-missiles doit commencer à être déployé dès la fin 2006 ou début 2007 au Japon.




Ce n'est pas la première fois que la Corée du Nord commet un tel acte, considéré comme une agression. Elle avait déjà procédé à un tir en 1998.


Cette fois, en lançant sept engins en une journée, dont un de longe portée, le régime communiste de Pyongyang, dont personne ne sait pour le moment décoder les intentions réelles, s'expose à des sanctions internationales fortes.
Mais jusqu'où les choses peuvent-elles dégénérer? Nul ne peut le dire.




On sent bien pourtant que d'aucuns dans les milieux politiques nippons sont animés d'une volonté de ne pas en rester au dialogue ou aux sanctions économiques pour tenter de résoudre la crise, même si le Premier ministre Junichiro Koizumi a pour sa part affirmé après le septième tir, qu'il fallait continuer de parler avec les nord-Coréens pour trouver une voie de sortie à ce très grave problème. Lequel n'est d'ailleurs pas le seul que les Japonais et leurs voisins ont à régler. Et tous sont liés.




Les extrémistes de droite quant à eux n'attendaient peut-être que cette occasion pour remettre sur le tapis leur volonté de réviser la constitution nipponne, la seule au monde qui, dans son article 9, interdit au pays de recourir à la guerre pour mettre fin aux contentieux.

Alors voilà, on a fini la journée comme la plupart des Japonais, à s'interroger en lisant la presse du soir, ou devant les infos en boucle à la télé sur le pourquoi de tout cela, sans avoir la moindre idée de réponse.



Et puis on a fait comme toute la presse nippone, on a remisé sous le dessous de la pile la foultitude d'infos high-tech et économiques dont d'habitude on se délecte volontiers. Face aux "missiles de Kim", n'en déplaise aux technophiles, ça ne fait pas le poids.

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