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par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

"Au-delà du nuage", témoignages bruts sur le drame du 11 mars 2011 au Japon

article AFP

Publié par K. Poupée le Mercredi 11 Septembre 2013, 18:39 dans la rubrique International - Lu 2667 fois - Version imprimable

"Le noir et blanc s'est imposé immédiatement quand je suis allée dans les zones dévastées. Le gris dominait, en fait il n'y avait pas de couleurs", raconte Keiko Courdy, auteur d'un web-documentaire titré "Au-delà du nuage" sur le tsunami et la catastrophe atomique du 11 mars 2011 au Japon.

Ce jour-là, le pire vécu par les Japonais depuis la Deuxième guerre mondiale, cette artiste française était en France: mais elle ne put s'empêcher de revenir dans sa deuxième patrie meurtrie où elle a longtemps vécu.

"C'était une sorte de nécessité d'être là-bas et d'agir. Je savais que je voulais faire quelque chose, je ne savais pas comment. J'ai pris ma caméra, j'ai loué une voiture et longé la côte, de Morioka à Rikuzentakata", raconte-t-elle à l'AFP.

De ce périple, émaillé de rencontres avec des habitants de la région saccagée, des artistes, des personnalités politiques, des écrivains, des journalistes, elle a tiré une vingtaine d'entretiens exclusifs, matière première d'un web-documentaire réalisé avec Jérôme Sullerot, et d'un film de plus d'une heure et demie, intitulés "Au-delà du nuage". (http://www.yonaoshi311.com/#/FR/home).

"Le web-documentaire donne la liberté à celui qui le regarde de découvrir un univers de façon libre et interactive. Pour l'auteur, c'est un moyen de faire un travail de fond, beaucoup plus que dans le film, certes poignant, mais où il y a moins d'espaces d'expression", explique l'auteur.

Malgré l'absence de couleurs dans un paysage rasé par la déferlante qui s'est abattue sur plus de 500 kilomètres de littoral, le résultat est nuancé.

"Je n'ai pas voulu faire un film tout noir ou tout blanc, car la situation est extrêmement complexe: on ne sait pas où est la vérité, où est le mensonge", insiste-t-elle.

Cette difficulté à apprécier le danger de la radioactivité, de la nature, est tout entière contenue dans le témoignage émouvant de Risa Yamada, une lycéenne de 17 ans, qui vit à Minami-Soma, à une vingtaine de kilomètres du complexe atomique Fukushima Daiichi.

"Les gens parlent de la peur, de l'impossibilité de vivre ici. Ils disent que ce n'est pas un endroit à habiter, on entend cela partout. Mais on est bien vivant. C'est une réalité et cela ne va pas changer. On ne sait pas quels seront ensuite les dommages pour la santé, mais aujourd'hui on veut juste que les gens n'oublient pas que l'on vit ici", dit-elle, toujours souriante.

"Oui, c'est choquant de voir des Japonaises dire qu'elles ne sont pas contre l'énergie nucléaire alors que leurs champs ne sont pas cultivables", confirme Keiko Courdy, "mais j'ai voulu livrer bruts ces témoignages".

"Les Japonais sont des gens que l'on ne comprend pas d'emblée, on a l'impression qu'ils ne se rendent pas compte, mais c'est la réalité, c'est leur façon de penser et de vivre et c'est ainsi que j'ai souhaité la montrer parce qu'on ne peut pas la nier".

"Aujourd'hui, la réalité nous dit qu'il faut arrêter les centrales nucléaires, mais la question est de savoir comment faire. Chacun, personnellement, doit y réfléchir", dit Jiro Taniguchi "déprimé par son impuissance" et l'inutilité ressentie de son métier de dessinateurs de manga.

"Beaucoup de gens réfléchissent, sont actifs, réagissent, même s'ils ne sont pas dans les manifestations", souligne Keiko Kourdy qui a aussi suivi dans les cortèges à Tokyo des militants antinucléaires de longue date, tel le journaliste Satoshi Kamata.

"Les centrales nucléaires sont dangereuses, j'aurais dû crier plus fort, être plus actif, je m'en veux", répète-t-il.

"Le 11 mars a été le déclencheur principal qui m'a fait envisager le dénucléarisation, quand on m'a présenté le scénario du pire, avec l'évacuation générale jusqu'à la région de Tokyo", confie encore Naoto Kan, ex-Premier ministre en fonction au moment du drame.

Au-delà de l'accident nucléaire, "n'oublions pas les victimes du tsunami", insiste aussi Keiko Courdy.

"Plus une seule personne ne veut vivre ici", avoue devant les ruines de sa maison d'enfance le photographe Naoya Hatakeyama, originaire de la côte de Rikuzentakata, rasée, une autre réalité difficile à appréhender.

"J'aurais voulu avoir une bonne idée pour mieux montrer l'ampleur de la dévastation", s'excuse presque Keiko Courdy.


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