Le téléphone mobile, nouvel appendice corporel des Nippons... (Partie 1)
...et nouvel objet d'études sociologiques
Que peut bien penser le directeur des services sur mobiles i-mode de NTT DoCoMo, Takeshi Natsuno, lorsqu'il prend le métro à Tokyo (ça lui arrive) et constate qu'un tiers des innombrables passagers ont les yeux rivés sur l'écran de leur(s) téléphone(s) portable(s)? Est-il fier? Sans doute. Car c'est en grande partie grâce à lui et à ses ouailles que le "business" des services de données sur "keitai denwa" (mobile en japonais) est devenu l'un des plus lucratifs au Japon, à un point que nul n'aurait imaginé lorsque fut lancé l'i-mode en février 1999.
A vrai dire, il devrait presque être inquiet. Non pas pour ses finances, mais pour sa conscience. Car, ça fait parfois un peu peur de croiser autant de silhouettes sur les quais, dans les rues, partout, le téléphone scotché à la main, fixant on ne sait quoi sur leur écran de portable protégé par un filtre contre les regards indiscrets, ou tapant frénétiquement sur le clavier de leur "kakasenai keitai" (indispensable mobile). Ils sont là sans y être, tant ils sont concentrés sur leur objet.
Alors que les opérateurs européens commencent à sérieusement s'inquiéter du non-décollage des services de troisième génération (3G) sur le Vieux Continent même si la téléphonie mobile, prise stricto-sensu (communications vocales) y est massivement adoptée, au Japon, nul ne se pose plus la moindre question sur la légitimité de la 3G et le bien-fondé de s'attaquer au développement de la quatrième génération.
Début 2007, sur plus de 100 millions de souscripteurs nippons à une offre de télécommunications mobiles, plus de 66% ont d'ores et déjà opté pour la troisième génération, voire la 3,5G, et tous sont des utilisateurs actifs des services de données allant de pair.
En effet, les trois quarts au moins des individus que l'on rencontre dans les rues en train d'utiliser leur mobile ne passent pas des appels, mais s'en servent comme terminal de données. Et plus de 85% des quelque 50 millions de terminaux vendus en 2006 au Japon sont des modèles de 3e génération. D'ailleurs, les opérateurs (qui vendent les mobiles bridés sous leur marque, les fabricants ne les proposant pas directement) ne développent même plus de téléphones de 2e génération.
Le revenu mensuel moyen par abonné mobile (autrement dit le montant moyen de la facture mensuelle) s'établit aux alentours de 9.000 yens, soit environ 60 euros (au cours de janvier 2007), dont 20% à 30% proviennent des échanges de données, sachant qu'une part croissante des services sont en tout ou partie gratuits . Alors que le prix des communications vocales tend inéluctablement à chuter, du fait d'une concurrence de plus en plus féroce et des progrès techniques, le poids en valeur des données, lui, augmente.
D'où questions: que font donc ces Japonais avec leur keitai, d'où vient un engouement aussi massif, en quoi leurs pratiques sont-elles différentes de celles des Européens, et pourquoi le phénomène n'est-il pas parfaitement transposable en Europe en général et en France en particulier?
Nous allons tenter de répondre à ces différents points avec un maximum de détails en deux volets publiés à la fois sur ce site et sur celui de notre partenaire pour l'occasion, http://www.pdafrance.com .
A la première interrogation, "que font les Nippons avec leur mobile", la réponse pourrait être résumée en une phrase: tout ce qu'il faisait avant d'une autre façon, quand le "keitai" n'existait pas.
Outre le fait qu'ils téléphonent, évidemment, ils communiquent aussi par textes comme ils la faisaient auparavant par courrier, mais non pas par l'entremise de brefs SMS sibyllins, mais via de véritables e-mails, un outil en temps quasi-réel que pour beaucoup ils ont découvert et adopté sur le mobile avant de l'utiliser sur PC.
Tous les temps morts (attentes, trajets en transports en commun) sont autant d'occasions pour envoyer un message. Et dieu sait que dans la vie nippone, les heures passées à aller d'un lieu à un autre sont nombreuses.
Quand ils ne saisissent pas des textes, ils en lisent.
Ainsi, l'une des autres pratiques massives est la lecture des courriers reçus, soit en provenance de relations familiales, amicales ou professionnelles, soit émanant d'un commerçant ou fournisseur de services quelconques. La plupart des Japonais sont abonnés à des "newsletters" sur mobile, que, par discipline ou intérêt réel, ils prennent souvent le temps de lire. Quand ce sont des enquêtes, ils y répondent. C'est que ces dernières s'accompagnent souvent d'offres commerciales plus ou moins alléchantes (promotions, ventes exclusives...).
Les sites d'actualités des grands médias sont aussi fortement consultés, de même que ceux, innombrables, sur la météo offrant un luxe de détails (avec photos), à l'instar des bulletins diffusés sur les TV et radios . La fréquence des caprices climatiques (typhons, tempêtes de neige, chaleurs étouffantes) et la vénération pour la nature (cerisiers en fleurs, feuillages d'automne) n'y sont pas pour rien. Idem pour les sites d'informations sur les transports et la navigation dans les villes. Les Japonais adorent les plans avec comme points de repères les gares, commerces, et gares. Leur utilité est d'ailleurs difficilement contestable dans les villes sur plusieurs niveaux et où les rues n'ont pas de noms.
Depuis quelques temps, les blogs et réseaux communautaires sur mobiles constituent aussi un autre motif de lecture et d'écriture passe-temps.
Viennent ensuite les jeux, qui constituent un vrai marché de masse, touchant tous les publics. Il n'est ainsi pas plus rare de voir une femme de plus de cinquante ans échanger des e-mails avec son mobile, jouer à Tétris ou, plus récemment, à des quizz d'entraînement des méninges, qu'un jeune de 15 ans s'adonner à une partie de PacMan ou autre "mobile game".
Les téléchargements de musiques (sonneries ou titres en intégralité) sont également devenus depuis 2005 une pratique en plein boom, résultant directement des débits offerts par la 3,5 G (normes CDMA 1xEvDo chez KDDI ou W-CDMA/HSDPA chez NTT DoCoMo), dix fois supérieurs à ceux de la 3G de base.
Ainsi, au Japon, même si les baladeurs tels que l'iPod d'Apple ou les Walkman de Sony sont des objets populaires, les ventes de musiques en ligne se font dans plus de 90% des cas directement via les mobiles qui servent également de baladeurs. A noter que tous les terminaux 3G sont dotés d'une mémoire interne qui atteind parfois 1 gigaoctet (Go) et d'un emplacement pour carte amovible.
Autres contenus en vogue: les vidéos. Outre les services de téléchargement de clips et autres séquences animées, les chaînes traditionnelles (NHK, Nippon TV, TV Tokyo, TV Asahi....) peuvent désormais être reçues directement via le réseau hertzien de télévision numérique (TNT mobile ou télévision numérique personnelle dans le jargon français) grâce à un tuner intégré dans les récents terminaux.
La TNT mobile, lancée en avril 2006 sous la dénomination "OneSeg", gagne en popularité. Cette fonction constitue désormais un puissant facteur d'attraction pour le renouvellement de mobiles (plus fréquent au Japon qu'en Europe, tous les 12 à 15 mois en moyenne).
De fait, on commence à voir dans les cafés ou sur les quais de gare des personnes regardant les infos sur l'écran de leur téléphone. La radio numérique est elle aussi en passe d'arriver, avec une qualité audio inégalée sur la bande FM. Elle est expérimentée depuis janvier 2007 à Tokyo et Osaka et peut d'ores et déjà être reçue par quelques terminaux.
La lecture (et même l'écriture) de romans et autres livres disponibles en téléchargement devient aussi un phénomène massif chez les jeunes, et notamment chez les adolescentes, alors que les livres électroniques dédiés n'ont jamais percé. Comme on vous l'a longuement expliqué ici, le "keitai" est de facto, le plus prometteur des supports de lecture d'ouvrages numérisés, dont certains n'existent d'ailleurs pas sous une forme imprimée.
Enfin, n'oublions pas que tous les Japonais qui possèdent un téléphone portable l'utilisent aussi comme appareil photo numérique principal ou d'appoint, collectionnant les clichés qu'ils prendront même parfois la peine d'imprimer.
Voilà pour les pratiques les plus majoritairement et fréquemment utilisées. On dira que ce n'est finalement pas très loin de ce qu'on constate ailleurs. A une différence près, et non des moindres: l'ampleur du phénomène. Alors qu'en Europe ces diverses pratiques et l'adoption de la 3G restent cantonnées à une niche, au Japon, elles sont massivement adoptées, sans considération d'âge, de sexe, ou même de rang socio-culturel. Et ça change tout.
Commentaires
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Mobisphère : "Sous le titre " Le téléphone mobile, nouvel appendice corporel des Nippons", Karin Poupée publie sur son excellent Blog consacré au Japon, en partenariat avec PDA France, la première partie d'un article consacré aux usages mobiles dans l'archipel Nippon. Je vous recommande particulièreme"
anonyme - 20.02.07 à 06:01 - # - Répondre -
Excellent article !
De ce que j'ai pu voir au Japon pendant 3 semaines, c'est effectivement exactement comme décrit dans cet article.
Il est en effet curieux de constater que même si le mobile marche bien en France (essentiellement pour la voix), il n'en est pas de même avec les données (même si aujourd'hui le phénomène commence à prendre de l'ampleur).
Comment expliquer un telle différence entre nos 2 pays ? Y aurait-ils moins de temps de transport en France ? ;-)
En tout cas, j'attends avec amipatience la 2ème partie de cet article...
ShoLine - 20.02.07 à 17:33 - # - Répondre -
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En direct de Tokyo : "Le Téléphone mobile, nouvel appendice corporel des Nippons…"
anonyme - 21.02.07 à 04:57 - # - Répondre -
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Services Mobiles : "n 60 euros (au cours de janvier 2007), dont 20% à 30% proviennent des échanges de données, sachant qu'une part croissante des services sont en tout ou partie gratuits . Alors que le prix des communications vocales tend inéluctablement à chuter, du fait d'une concurrence de plus en plus féroce et des progrès techniques, le poids en valeur des données, lui, augmente. Source et suite ici"
anonyme - 21.02.07 à 16:27 - # - Répondre -
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Services Mobiles : "os (au cours de janvier 2007), dont 20% à 30% proviennent des échanges de données, sachant qu'une part croissante des services sont en tout ou partie gratuits . Alors que le prix des communications vocales tend inéluctablement à chuter, du fait d'une concurrence de plus en plus féroce et des progrès techniques, le poids en valeur des données, lui, augmente. Source et suite ici"
anonyme - 22.02.07 à 18:26 - # - Répondre -
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SIDzPAD : "Je viens de tomber sur un article très intéressant sur le non moins intéressant blog de K. Poupé. L'article présente les usages et le comportement des japonais à l'égard de leur mobile. Sans insister sur la décénie d'avance technologique qui nous sépare d'eux, il explique que l'appareil est complètement rentré dans leur vie, plus encore que les ordinateurs.Très instru"
anonyme - 05.04.07 à 22:46 - # - Répondre -
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Mobisphère : "Source Image: http://tokyo.viabloga.com/Retrouvez la seconde partie de l'excellente synthèse réalisée par karyn Poupée sur son blog concernant cette fois les usages "avancés" des services mobiles au Japon. Osaifu Keitai (téléphone porte-monnaie), Code-barres QR, services d'urgences, GPS, tout y est présenté. "
anonyme - 07.04.07 à 04:30 - # - Répondre -
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NIPPONICA BLOGULA : "On peut résumer en trois principaux points ce qui peut faire hésiter les parents (outre les frais d’achat et d’utilisation). "
anonyme - 23.06.07 à 06:42 - # - Répondre -
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Le web mobile sera-t-il plus qu’un Minitel amélioré ? | InternetActu.net : "interfaces spéciales, comme le suggère une équipe de recherche de Motorola ? Ou bien, comme le suggère le reportage de Karyn Poupée au Japon, les mobiles deviendront-ils notre “nouvel appendice corporel“ ? "
anonyme - 29.03.08 à 00:50 - # - Répondre -