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par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Violence au Japon: réaction de Jean-François Sabouret

après le débat Zemmour/Domenach le 16 mai 2014 sur itélé

Publié par K. Poupée le Mardi 27 Mai 2014, 01:14 dans la rubrique Politique - Lu 11786 fois - Version imprimable

Après le débat sur itélé le 16 mai à propos de la violence au Japon entre les deux chroniqueurs médiatiques Eric Zemmour et Nicolas Domenach, le japonisant et spécialiste de la société japonaise Jean-François Sabouret (cité par M. Domenach)  a souhaité réagir. Voici le texte qu'il nous a adessé.

 



J'avais reçu un appel  téléphonique de Nicolas Domenach  qui souhaitait recevoir quelques informations sur la violence au Japon.

Par exemple à la question " y a t-il de la délinquance au Japon? " je réponds par l'affirmative, sinon comment expliquer la police, la prison, les contrôles souvent assez tatillons sur les individus.
Oui au Japon il y a des assassinats et des vols mais la violence à laquelle je pensais est celle de la grande délinquance, laquelle joue  en quelque sorte  un élément de contrôle sur la petite et moyenne délinquance. La grande délinquance c'est celle des groupes violents des Yakuza qui malgré une loi datant de plus de 20 ans, sont toujours présents et actifs mais moins visibles. La grande délinquance contrôle les quartiers chauds où les citoyens ordinaires vont se détendre le soir. Les commerces sont possédés ou contrôlées par l'un ou l’autre des trois grands groupes mafieux du Japon. Ils ont donc intérêt à ce que le citoyen ordinaire qui est alors « un client » soit le plus décontracté possible pour venir dépenser son argent.
Certains font le parallèle avec Marseille, dit-on, où jadis la grand délinquance, celle des familles mafieuses, contrôlait la ville et où les gens ordinaires n’étaient pas inquiétés. Je ne me prononcerai pas sur cette période prétendument idyllique où la sécurité était assurée aussi par la mafia dans la cité phocéenne.
La violence reste la violence, se situe hors la loi, et de ce point de vue doit être combattue et la police joue son rôle.
Mais au Japon, il y a une grande tradition,  où les « gangsters du temps jadis » à l’époque d’Edo, contrôlaient les quartiers de plaisir dont le plus célèbre à Edo (Tôkyô aujourd’hui) était Yoshiwara à Asakusa. Dans ces quartiers où il y avait des femmes, de l’alcool, de la musique, de la danse, du théâtre…il y avait peu de violence qui frappaient les individus ordinaires … pour peu qu’ils aient les moyens de payer les services tarifés.
 Il y a sans doute une continuité entre cette grande délinquance du temps jadis et celle actuelle.

Tout cela pour dire quoi ? Que la société japonaise ordinaire, quotidienne est paisible : il n’y presque pas de vols à l’arraché, beaucoup moins d’assassinat, les quartiers de détente où la soupape sociale peut se libérer un peu est contrôlée par les yakuzas qui sont aussi et de plus en plus des hommes d’affaires, qui se plaignent souvent de la violence des yakuzas chinois qui prennent pied au Japon et introduisent d’une manière significative « de la drogue et des filles ».
Mais, encore une fois, la vie ordinaire japonaise est paisible à n’importe quelle heure de la journée et presque de la nuit. Un séjour d’une semaine au Japon permet  à quiconque de s’en convaincre.

Ai-je été pris une fois, dans une manifestation violente ? Oui une fois mais c’était il y a trente ans environ à l’époque des fameux groupes de bôsôzoku qui, en moto, pouvaient investir une place avec chaînes, nunchaku et couteaux, semaient la peur durant de longues minutes. Dans ces cas là, l’instinct de survie commande de se faire le plus transparent possible. Cela m’est arrivé une fois, et par hasard, à Takadanobaba : mauvais endroit, mauvais moment. Les bruits des motos customisées à l’échappement libre et des hordes de jeunes menaçants font de toute personne une cible idéale. Puis sur l’ordre du chef, ils partent aussi vite qu’ils sont venus.
Mais on ne peut pas dire sur la base d’un seul exemple, assez ancien déjà, que la rue japonaise est inquiétante.
Pour expliquer la paix dans les grandes concentrations urbaines comme la mégalopole de Tôkyô et de ses satellites (plus de 40 millions d’habitants), il faudrait aborder la question du respect de l’espace public qui commence dès l’école primaire quand les enfants d’une classe font tous les soirs le ménage eux-mêmes (balayage de la salle,  nettoyage des toilettes, lavabos, tableau …). Le respect de l’espace commun commence là (pas de papiers, de mégots de cigarette, de déjections animales, de chewing-gum collés au sol, de mobiliers urbains vandalisés ou tagués). L’espace public est un bien commun, pas un repoussoir, pas une jungle. Le métro de Tôkyô est sûr et propre.

Pourtant la violence existe au Japon. Celle que je connais bien se joue dans les écoles et les collèges. Ce sont les fameux phénomènes d’Ijime, de souffre-douleurs, qui explosent durant la seconde année de collège (14 ans). Ce sont des Japonais qui font souffrir d’autres enfants japonais, qui les battent, leurs font subir diverses sévices, les rackettent souvent. La vie est un enfer pour celui qui en est victime.  Cette violence, qui est un phénomène social de premier plan met bien en relief les frustrations des jeunes Japonais . Pas besoin d’aller en chercher la cause chez des immigrés mal intégrés qui menaceraient et défieraient l’ensemble de l’édifice social.  Les causes de cette violence sont peut-être à chercher ailleurs chez une jeunesse totalement japonaise, qui comprend au moment de la puberté, de l’adolescence et de l’orientation scolaire, que les enjeux sociaux sont déjà joués… ou presque, et qu’il est vain de penser à une seconde chance.
La puberté et le système scolaire orienté vers le classement et la compétition sont un mélange explosif qui n’est pas lié à l’immigration.

Il faudrait toujours pouvoir être son propre porte-parole et dire, par exemple, que la France avec son immigration et toutes ses couleurs est belle et ; à terme , qu’elle sera gagnante.
Il y a des problèmes certes, comment le nier ? Mais on ne peut appliquer à une France continentale bordée par six autres pays la pratique supposée d’un pays insulaire à 300 kilomètres de la Corée et 1500 de la Chine.
La construction « d’une grande muraille de camenbert » en France aurait peu d’effet : celle de pierre n’a pas empêché les Mongols de s’installer en Chine.

Il faut intégrer et non bouter hors du pays des personnes dont les descendants au terme de deux ou trois générations défendent avec ardeur ce pays devenu le leur. Ce ne sont pas Messieurs Sarkozy ou Valls qui diront le contraire.
 Les Japonais d’ailleurs vont devoir faire appel à des travailleurs immigrés pour faire face, entre autre, à la reconstruction du Tôhoku (région du nord-est dévastée par le tsunami du 11 mars 2011), la préparation de la coupe du monde de Rugby, celle des jeux olympiques et la réinstallation d’entreprises japonaises qui avaient été délocalisées à  l’époque de la bulle économique des années 80. Bien sûr les Japonais espèrent mettre en place « une immigration contrôlée » avec des contrats de trois ans.
 On verra, à l’usage, si le plan fonctionne bien…


Jean-François Sabouret


Le débat: http://www.itele.fr/magazines/ca-se-dispute-zemmour-domenach/le-japon-terre-dharmonie-ou-de-violence-16-82747

Un article sur le site d'Arrêt sur images:
http://www.arretsurimages.net/breves/2014-05-20/Japon-delinquance-les-editorialistes-et-la-correspondante-id17455
 


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Commentaires

Pas d'accord du tout.

Désolée mais pas d'accord pour la fin.  Trop d'immigration, abus d'immigration, immigration de regroupement familial, dévoiement des principes d'accueil. Parlez du Japon si vous voulez.

Gabrielle - 03.06.14 à 23:41 - # - Répondre -

Pas d'accord avec "Pas d'accord du tout."

Ce n'est pas le problème de l'immigration qui génère les problèmes sociaux contrairement à ce que propage Zemmour, qui doit vivre sur une île déserte non encore découverte ou dans une tribu sur Mars.

Il n'y a pas non plus plus d'abus par l'immigration que dans d'autres domaines.

Au XIX, l'immigration se faisait des régions (la province) à la capital ou aux grandes villes industrielles. Les cultures étaient très différentes d'une région à une autre. Même si, ils venaient d'une même nation, les gens de régions différentes se différenciaient très facilement de part leur faciès trés marqué à l'époque, la culture différente (vétements, communautés...).  Les problèmes de délinquence subsistaient tout autant qu'aujourd'hui.

Les problèmes ne sont pas lié à l'immigration mais à la "pauvreté" (mal-socialisation des classes sociales basses) d'une part, aux déracinements d'autre part et enfin à une jeunesse que l'on enferme dans les problèmes d'adultes (crise siociale, chômage, guerres...etc).

Au XX, l'immigration fut européenne. Aujourd'hui, le phénomène est mondiale suite à la mondialisation. Le Marocain ou le Sénégalais du XXI en France est à la fois l'Irlandais (le colonisé) du XIX en Angleterre et le Savoyard (l'identité d'origine) du XIX à Paris.

Sinon, pour citer Alexandre Zinoviev (1983) Ni liberté, ni égalité, ni fraternité (p123-125). L'Âge d'Homme. :

"Le problème de la jeunesse est spécifiquement occidental et contemporain. [...]. Il y a eu, il y a et il y aura toujours des problèmes chez certains jeunes, du fait même qu'ils sont jeunes. Mais ce ne sont pas là des problèmes de société.
A quelle condition peut-on dire qu'un problème affecte une catégorie sociale particulière ?
Quand cette catégorie est mécontente de sa place dans la société, présente ses exigences et accomplit des actes destinées à exprimer son rapport à la société, ces protestations, ses objectifs. Quand enfin cette catégorie de personnes agit en masse et, parfois,s'organise, provoquant un conflit avec la société.

[...]

D'un point de vue sociologique, la société est une société d'adultes. Et, la jeunesse n'est que la réserve dans laquelle on puisera pour compléter les rangs des adultes. Les jeunes deviennent rapidement des adultes. Et le problème de la jeunesse en Occident n'est pas autre chose qu'un problème d'âge.Ce problème ne concerne qu'une partie des adultes et se manifeste dans un milieu d'adultes potentiels.

Le conflit entre la société et la jeunesse est l'expression d'un conflit entre différentes catégories d'adultes. Les mouvements de jeunes expriment la situation générale des adultes."

Sebrider - 14.07.14 à 22:42 - # - Répondre -

Trop facile

Les gens qui disent cela sont des gens qui évitent de se confronter à la situation réelle dans leur vie de tous les jours en vivant loin des zones massivement touchées par l’immigration.
D’ailleurs, certains mettent leurs actes en opposition totale avec leur discours en s’enfuyant en quatrième vitesse, par exemple en fraudant le système de la carte scolaire pour éviter à leurs enfants d’avoir à subir la société « diverse » qu’ils ne se gênent pas pour présenter comme une chance aux autres !

Albur - 28.09.14 à 04:12 - # - Répondre -

Mais complexe !

Oui, c'est trop facile de voir dans l'immigré un méchant inée au lieu d'apercevoir leur situation de classe ou position sociale. Beurk, c'est sûr ! Les médias ne supportent plus la lutte des classes, ce phénomène immanent de la société aujourd'hui mondialisé ou de la suprasociété golbale. Ca ne supporte que la classe moyenne.

On ne choisi pas de vivre ou non dans un milieu d'immigration.
On ne choisi pas d'être immigré.
Le problème n'est pas dans l'immigration ou dans l'émigré mais dans son origine c'est à dire la pauvreté du pays d'origine et la fuite à la recherche d'un pays.

C'est à chacun sa position sociale.

A la fin des années 80, on voyait moins d'immigré ou d'arabe mais le bordel dans les collèges étaient pires même dans le collège privé de basse classe où je suis allé. Ce n'est pas la conséquence de l'immigration mais plutôt de la démocratisation de l'école unique depuis 1975. Les phénomènes communautaires (cf Alexandre Zinoviev) de cette massification n'étaient pas encore contenu. Alain Savary en 1982 a remis en avant la communauté scolaire et l'éducation contre le tout sécurité de la pensée de Droite, ainsi que l'inégalité sociale contre l'égalité républicaine par la création des ZEP. Il a fallu attendre des années pour une stabilité.

Mais, l'affaiblissement du communisme et la destruction des sociétés types communautaires en Europe (URSS, Yougoslavie) a conduit à :
* émanciper totalement l'individualisme voulu depuis 1968 par les libéraux et les gauchistes contre l'autorité de l'état providence, les profs, les institutions et les acquis sociaux
* renforcer les pouvoirs religieux des trois religions monothéistes qui ont conduit à mettre en avant la laïcité et l'égalite H/F toujours d'actualité comme le montre la manif contre le mariage pour tous et l'ABCD de l'égalité. La laïcité positive de Sarkosy a été une ouverture du religieux à l'école avec les problèmes qui s'ensuit. La morale laïque de Peillon, d'inspiration de Ferdinand Buisson, revient au fondamentaux de la république depuis Jules Ferry et Emile Durkheim.

Tout cela a un peu pourri l'ambiance de l'école. D'ailleurs, la violence scolaire est également apparu dans les années 90. Il y a certe toujours des violences de masse (phénomène communautaire décrite par Alexandre Zinoviev) mais surtout des violences plus individuels liés à l'actualité. La violence médiatique est également souvent en lien avec l'actualité à l'extérieur de l'école (guerre du Golfe, guerre de Yougoslavie, regain du religieux...)

Malgrè l'individualisme et "Les mouvements de jeunes [qui] expriment la situation générale des adultes" (AZ), les collèges réputés bordélique et de bas niveau dans les années 80 sont devenus stable et de bon niveau dans les années 2000.

Mais même les émigrés pensent que leur perspective d'avenir rétrécit afin d'accéder à un niveau sociale supérieure est la conséquence de stéréotype sociale (race, sexe, genre...) et non pas à cause de leur position sociale. Bien sûr, pour ma génération les acquis sociaux de mes parents nous semblaient acquis. Les perspectives d'avenir semblaient certaines. Mais, aujourd'hui et depuis les années 90, les perspective d'avenir et d'ascension sociale ont dégringolé pour tous et cela d'autant plus pour un enfant d'émigré parce qu'on les enferme dans une position d'émigré.

Pour citer encore Alexandre Zinoviev dans l'Occidentisme (trouvable en livre sur dans la bibligraphie du site zinoviev.fr) :

"Quelle que soit la manière dont on les qualifie, ces graves conflits sont devenus, et pour longtemps, une donnée permanente de la vie à l’Ouest. La permanence de cette couche sociale et son maintien dans cet état semi-servile est objectivement indispensable à l’existence d’une société dont les contradictions sont exacerbées par le discours sur les libertés civiles, les droits de l’homme et l’égalité des chances.

Dans une certaine mesure, c’est une aubaine pour l’Occident que ces problèmes soient perçus comme raciaux : cela permet d’occulter leur essence sociale et leur caractère organique. Dans le cas contraire, ils seraient apparus depuis longtemps pour ce qu’ils sont en réalité : les escarmouches d’un conflit de classes."

Ainsi, la solution pour tous :
* n'est pas envoyé quelques uns dans les hautes écoles pour générer une diversité.
* n'est pas l'élimination de l'immigration et des émigrés.

=> C'est amélioré les conditions de vie des basses classes dont celles des émigrés et des pays d'origine des émigrés. Mais, la révolution sociale même silencieuse semble encore une horreur pour certains !

Sebrider - 28.09.14 à 07:40 - # - Répondre -

Réponse très intéressante et très complète. On ne parle que très rarement de ce type de sujet.

entreprendresurleweb.blog.fr - 07.04.15 à 18:35 - # - Répondre -

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