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par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Mangeurs de baleine, les Japonais? ...

Avaleurs de couleuvres, vous voulez dire !

Publié par K. Poupée le Dimanche 19 Octobre 2008, 12:30 dans la rubrique Politique - Lu 4177 fois - Version imprimable



Les Japonais sont villipendés à travers le monde pour leur consommation de chair de baleine, cétacé qu'ils pêchent en employant des techniques jugées cruelles sous couvert de "prises scientifiques", alors même que, selon les défenseurs de ces mamifères marins, il est possible de mener des recherches sur les espèces baleinières sans les sacrifier. Les Nippons pêcheurs et amateurs de baleine (tous ne le sont pas) arguent pour leur part que la consommation de sa chair écarlate est une tradition gastronomique ancestrale et qu'elle doit perdurer. Ils appellent à une levée du moratoire sur la pêche commerciale, mais les discussions sont bloquées au sein de la Commission baleinière internationale (CBI). Les Japonais auront vraisemblablement du mal à avoir gain de cause. Ce ne sera jamais là qu'une défaite diplomatique de plus, car en la matière, les Japonais ne sont pas les plus fins stratèges. Plus que des baleines, ce sont en fait des couleuvres qu'ils avalent.




Les derniers événements en date nous en ont apporté plus d'une preuve.
 
Alors que le monde traverse actuellement une des pires crises financières qu'il ait connues en un siècle, le Japon,  deuxième puissance économique mondiale dont les banques sont dans une situation plus enviable que la plupart des institutions occidentales, apparaît comme un acteur de deuxième plan dans la lutte, même s'il participe aux actions pour calmer la tempête.





Le Japon a beau présider en 2008 le Groupe des huit nations les plus riches (G8), si un sommet exceptionnel se tient d'ici la fin de l'année, il n'aura pas lieu au Japon comme cela aurait normalement dû être le cas. Le Premier ministre nippon, Taro Aso, qui veut pourtant hisser haut le drapeau japonais, a vite compris qu'il ne devait guère se faire d'illusion sur ses chances de réunir sur l'archipel les grands argentiers du monde. Il l'a dit à mots couverts devant les parlementaires le 15 octobre: "cet éventuel sommet aura lieu là où il pourra produire les meilleurs effets". Eh bien ce sera aux Etats-Unis, le 15 novembre, et ce sont les présidents français Nicolas Sarkozy et américain George W. Bush qui en ont décidé ainsi et l'ont annoncé, sans vraisemblement trop s'inquiéter de ce que Tokyo en pense. Un coup de fil pour informer M. Aso, qui, forcément, a approuvé (que pouvait-il faire d'autre?).





A l'évidence, M. Aso avait dès le départ admis que le Japon n'était pas le pays le plus approprié pour accueillir les chefs d'Etat et de gouvernement du G8 (d'ailleurs élargi à une douzaine d'autres), un message que les diplomates étrangers ont sans aucun doute rapidement fait passer à leurs homologues nippons. Il n'empêche, si le Japon avait mieux su depuis longtemps s'imposer comme une grande puissance politico-diplomatique, il aurait sans doute pris davantage d'initiatives pour tenter de venir à bout de la calamité mondiale qui tue la croissance économique et mine le moral des citoyens. "Pourquoi ce sommet n'a-t-il pas lieu au Japon", se désolent les commentateurs sur les chaînes de TV nippones.

"Le Japon est une grande puissance économique, il a l'expérience des crises financières et va jouer un rôle central", tente de les rassurer le monde politique nippon.

Las, actuellement, le Japon apparaît sinon décrédibilisé, du moins peu fiable, car trop instable sur le plan politique. Et pour cause: il a changé de chef de l'exécutif (Premier ministre) trois fois en deux ans et les politiciens ne cessent de débattre de la date de la prochaine dissolution de la chambre des députés et d'élections législatives dans la foulée, donc d'un possible nouveau gouvernement avec à sa tête, un nouveau Premier ministre.



Autre exemple de la faiblesse nippone, le cas de la Corée du Nord. Les Etats-Unis viennent d'effacer ce pays au régime communiste dictatorial de la liste des nations soutenant le terrorisme. Une claque pour les Japonais, pourtant plus fidèles alliés des Américains. Que peuvent-ils faire? Rien, sinon accepter la tête basse le verdict de Washington. Pourquoi? Eh bien parce qu'ils sont démunis d'arguments d'envergure géostratégique internationale pour contester ce choix. Les Japonais semblent s'être piégés eux-mêmes en insistant lourdement sur la clarification du devenir des 17 Nippons (13 selon les nord-Coréens) enlevés par des missionnaires de Pyongyang dans les années 1970-1980 et dont on ne sait s'ils sont morts ou vifs, à l'exception de cinq revenus au Japon ces dernières années. Le dossier est sensible,  affectif, pour les citoyens nippons, et les politiciens se montrent démagogues sur ce sujet.




Il est politiquement bénéfique lors d'élections de prendre fait et cause pour les kidnappés et leur familles meutries, mais diplomatiquement cela est destructeur. Les dirigeants mentent à leur opinion publique lorsqu'ils affirment que tous les pays du monde se mobilisent pour régler ce problème que beaucoup d'étrangers pourtant ignorent ou dont ils se fichent éperdument. La question de la dénucléarisation de la Corée du Nord est jugée ailleurs autrement plus importante pour la sécurité planétaire.




Le gouvernement nippon n'a pas hésité à réaliser des programmes vidéo distribués sur DVD et censés prouver que la planète est tourmentée par le malheur des kidnappés nippons. Il a même coproduit une animation larmoyante autour du cas emblématique de Megumi, enlevée adolescente. La douleur des familles est bien sûr compréhensible et la lumière doit être faite sur les disparus. Mais les diplomates japonais auraient peut-être été bien avisés de faire comprendre dès le départ à leur opinion publique que cette affaire n'était pas, tant s'en fallait, la priorité des Américains, pas plus que des sud-Coréens, Russes ou Chinois, engagés avec eux dans les discussions à six avec la Corée du Nord pour pousser cette dernière à désactiver ses installations nucléaires. Les citoyens nippons ont cru naïvement leurs dirigeants, et les familles des victimes ont fait aveuglément confiance au président George W. Bush lorsqu'il les a reçues et leur a promis de prendre en considération leur peine. Aujourd'hui, les Japonais doivent se rendre à l'évidence: les kidnappés sont des inconnus pour le reste du monde. Une fois les installations nucléaires nord-coréennes démentelées et bien d'autres problèmes pendants réglés, peut-être que leur triste sort sera davantage pris en considération par la communauté internationale. Il ne pouvait cependant pas être érigé en priorité numéro un comme l'a maladroitement pensé le Japon.


La difficulté du pays du Soleil-Levant à trouver une place dans les affaires du monde en adéquation avec sa puissance économique est une anomalie attristante qui ne laisse pas de susciter le questionnement.  Lors des récentes querelles entre la Russie et la Géorgie, quelle voix n'a-t-on pas entendue? Celle du Japon




De même est-il désolant le fait de constater qu'un grand journal comme le quotidien de droite Yomiuri Shimbun (le plus important du monde en tirage - 11 millions d'exemplaires par jour pour la seule édition matinale) mobilise des journalistes pour compter combien de fois le Premier ministre Aso est allé boire dans des bars huppés et privés avec des visiteurs du soir et à quelle heure en moyenne il rentre au bercail depuis son entrée en fonction. Et les mêmes de comparer le résultat élevé (24 soirées en moins d'un mois) et ses horaires tardifs de retour (22H54 en moyenne) avec ceux de ses prédécesseurs, pour en faire un long article (paru le 19 octobre).



 

Vous trouverez quelques explications historiques, politiques et sociologiques sur ce chagrinant état de fait dans "Les Japonais", essai paru en septembre aux éditions Tallandier.







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anonyme - 04.10.11 à 13:54 - # - Répondre -

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