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par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Japon: victime en bout de chaîne de la crise américaine

... et dire qu'il sortait tout juste la tête de l'eau

Publié par K. Poupée le Lundi 13 Octobre 2008, 14:16 dans la rubrique économie - Lu 3076 fois - Version imprimable



Le Japon, qui venait tout juste de se remettre des conséquences de ses propres égarements (bulle financière et immobilière des années 1980),  est victime par ricochet de la crise financière partie des Etats-Unis mi-2007 et dont l'ampleur ne cesse de se révéler plus effrayante que les spécialistes l'avaient imaginé (sauf quelques économistes qualifiés de Cassandre déclinologues il y a un an).


Victime par ricochet le Japon, car, comme tous les pays, il subit les craintes des investisseurs qui fuient la Bourse et font chuter les cours des actions, alors que les banques ne se font plus confiance entre elles et ne s'accordent plus de crédits. L'indice Nilkkei de la Bourse de Tokyo,  qui flirtait il y a plus d'un an avec les 18.000 points, est dégringolé ces derniers jours autour de 9.000 points. La place tokyoïte a sévèrement chuté à cause d'une contagion des inquiétudes sur les perspectives de croissance, bien que les conditions d'octroi de prêts aient été moins durcies au Japon que dans les autres pays (les banques japonaises étant jugées moins exposées aux risques des prêts hypothécaires américains "subprime").  Dans quelle mesure les décisions prises par les grands argentiers du monde au cours du week-end des 11 et 12 octobre vont-elles durablement porter leurs fruits? Quel niveau retrouvera le Nikkei? Bien malin qui, par les temps qui courent, prétendrait répondre.


 
Victime le Japon, car la demande étrangère, moteur essentiel de la croissance des dernières années est en panne, et que les exportations de véhicules, de machines industrielles et de matériels électroniques divers marquent le pas.

Victime car le yen a tendance à remonter face à l'euro et au dollar, ce qui amoindrit les bénéfices escomptés des ventes hors du Japon de même que la compétitivité des firmes japonaises sur les marchés extérieurs.  Les prévisions de résultats financiers, calées sur un cours du yen inférieur à ce qu'il est aujourd'hui face au dollar et à l'euro, vont probablement devoir être revues à la baisse. La vague redoutée d'avertissements sur résultats a déjà commencé (Sharp a déjà prévenu ses actionnaires).

Victime car les cours élevés des matières premières et des hydrocarbures touchent de plein fouet les sociétés du pays du Soleil-Levant, lequel ne dispose pour ainsi dire d'aucune ressource naturelle. Les gros s'en tirent (ils vont quand même devoir revoir à la baisse leurs objectifs initiaux) mais les PME souffrent, surtout celles des secteurs d'immobilier (agences de vente et location, promoteurs fragiles). Les faillites se multiplient, obligeant l'Etat à élargir sa garantie pour que les banques continuent de leur accorder des financements.

Victime enfin car les consommateurs nippons, un brin anxieux, contrôlent davantage leurs dépenses, n'escomptant guère d'augmentation de salaire puisque les entrepreneurs privilégient les réductions de coûts de production et les investissements en machines et en R&D. Il serait toutefois faux de dire que les Japonais cessent de dilapider du fric dans les boutiques et restaurants (il suffit de fréquenter les quartiers commerçants de Tokyo pour s'en rendre compte).

Bilan, le Fonds Monétaire International n'envisage plus qu'une croissance du produit intérieur brut (PIB) japonais de 0,7% en 2008 alors qu'il pronostiquait une augmentation de 1,5% sur un an auparavant. Il estime à présent que le PIB ne croîtra ensuite que de 0,5% en 2009 sur un an, contre une prévision antérieure de 1,5%.


Lorsque la crise des "subprime", couplée à la hausse des cours du pétrole et des aliments, a commencé à se répercuter sur les commandes de produits nippons en provenance des Etats-Unis, le Japon a pu compenser avec l'émergence d'une nouvelle clientèle dans les pays tels que la Chine, la Russie, l'Inde ou le Brésil. Aujourd'hui, le différentiel à combler est devenu trop important. "L'économie japonaise montrait initialement plus de résilience à la crise que les pays occidentaux,  mais elle a récemment été affectée par un ralentissement des exportations et par l'impact d'une détérioration du commerce extérieur sur la demande intérieure", souligne le FMI dans un récent rapport.


Après un premier trimestre positif, le PIB japonais s'est contracté de 0,7% au deuxième, "un repli dû à la baisse des investissements et de la consommation privée alors que l'apport des exportations dans la croissance est descendu à zéro", note l'organisation. "L'affaiblissement des commandes en provenance des Etats-Unis et de l'Europe de l'Ouest, l'augmentation des coûts d'approvisionnement (énergie, matières premières) et la diminution des prévisions de profits pèsent sur le moral des entrepreneurs et affecte les investissements", tandis que la demande émanant des pays émergents ou les niveaux élevés des revenus issus d'implantations à l'étranger ne comblent pas le manque à gagner, analyse le FMI rejoint sur ce point par de nombreux experts.


 

Le découplage entre les économies américaine et japonaise ne peut fonctionner pleinement dans le marasme actuel, car une partie des exportations nippones (les composants et autres pièces) sont destinées à leurs usines d'assemblage en Asie ou en Europe de l'Est où sont fabriqués des produits finis pour les Etats-Unis et l'Europe. Or, la demande de produits déclinant dans ces régions, les besoins de composants suivent la même évolution négative. 

Banques peu affectées par les "subprime" à la chasse aux bonnes affaires

Paradoxalement, les groupes bancaires nippons se rangent du bon côté, et "profitent" de la crise puisqu'ils s'emparent de tout ou partie de banques occidentales aux abois, ou reprenent une partie de leurs activités, étendant ainsi leur zone de chalandise à bon prix. Cette volonté d'expansion internationale n'est pas née de l'opportunité offerte par les banqueroutes hors du Japon, mais était déjà présente dans la stratégie des méga-banques nippones qui savent que leur avenir ne peut reposer sur la seule clientèle japonaise qui va se réduire du fait d'un déclin de la population liée au et à l'absence de véritable politique nataliste.


 

Que peut faire le Japon pour renforcer sa place en Asie et partant dans le reste du monde?

Son système financier étant moins exposé que celui des pays occidentaux, le Japon dispose d'un meilleur socle. Heureusement car la Banque du Japon () n'a pour sa part guère de marge de manoeuvre, hormis celles consitant à inonder le marché interbancaire de liquidités. Certes, elle ne craint pas un emballement prix/salaire, l'inflation, hors aliments et carburants, étant toujours proche de zéro. Mais le taux directeur de la est déjà si bas (0,5% depuis février 2007 après deux relèvements successifs) que le baisser dans des proportions significatives est impossible. C'est pourquoi elle ne s'est pas associée à l'action concertée des banques centrales pour réduire les taux le 8 octobre.Toutefois, une dégradation plus importante que prévu de la conjoncture économique pourrait justifier une réduction du taux d'intérêt directeur pour le faire revenir à zéro, niveau auquel il a été durant plusieurs années jusqu'à juillet 2006 pour combattre la dans laquelle fut englué le Japon durant près de huit ans.



L'Etat de son côté a beau affirmer, par la voix du nouveau Premier ministre Taro Aso, qu'il viendra au secours des entrepreneurs et consommateurs par le biais de mesures de relance renforcées (un premier plan d'une valeur de 73 milliards d'euros - dont une extension de garantie bancaire - a été décidé fin août), ses capacités sont elles aussi limitées. Le Japon  souffre en effet d'un endettement public colossal (environ 180% du PIB en 2007) et d'un lourd déficit budgétaire annuel, deux éléments qui empêchent de puiser énormément dans les caisses, sauf à mettre en oeuvre des réformes fiscales impopulaires telle qu'une hausse importante de la taxe sur la consommation (équivalent de la TVA) qui n'est que de 5% actuellement. Il faudrait pour péréniser les systèmes de retraite et de couverture sociale au moins la doubler. Les organisations patronales plaident en ce sens mais exigent en échange une baisse des impôts sur les sociétés pour assurer une meilleure rémunération des salariés.

Le Japon peut cependant espérer que la crise affecte peu (en termes de croissance et de durée) les économies émergentes et qu'elles lui fournissent dès lors une clientèle grossissante pour ses produits généralement bien perçus car fignolés, fiables et auréolés de marques qui apparaissent comme des symboles de réussite aux yeux des nouveaux riches asiatiques, brésiliens ou russes. La construction dans ces pays de nouvelles infrastructures (immeubles, réseaux routiers, moyens de télécommunications, centrales électriques, etc.) peut aussi grandement profiter aux sociétés japonaises.



A moyen et long terme, le Japon mise d'abord et surtout sur sa forte structure industrielle et ses technologies de pointe pour profiter de tendances universelles, comme la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre (automobiles hybrides, batteries lithium-ion, nouvelles énergies renouvelables, et systèmes avancés de réduction de la consommation électrique intégrés dans un nombre croissant de produits - électroniques, électroménagers, machines-outils, infrastructures diverses, etc.).
Les entreprises nippones continuent d'investir massivement en R&D, craignant de voir leurs rivales chinoises les dépasser. Cette continuité leur a déjà permis de sortir de la soi-disant "décennie perdue" (dix années de crise après l'éclatement de la bulle immobilière et financière au début des années 90) en ayant en main des technologies porteuses d'avenir (écrans plats, énergies nouvelles, nouveaux matériaux, automobiles propres, robots industriels ultra performants, etc.)
En outre, les sociétés japonaises sont aujourd'hui assainies, ayant éliminé leurs excès de production, de main-d'oeuvre et d'endettement qui étaient patents au moment de la bulle.



Pour plus de détails sur l'évolution de l'économie japonaise au cours des 63 dernières années:
lisez : Les Japonais, du même auteur, publié aux Editions Tallandier.


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