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par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Le "choc Toyota"

... le titan mis à rude épreuve

Publié par K. Poupée le Samedi 8 Novembre 2008, 00:21 dans la rubrique économie - Lu 3666 fois - Version imprimable



En allant à l'hôtel ANA Intercontinental de Tokyo le 06 novembre à 15 heures, on savait qu'il y aurait foule de journalistes pour écouter les dirigeants de Toyota. On savait également que les bonnes nouvelles dont le titan nippon était coutumier ne seraient cette fois pas de mise. Et pour cause: comment pouvait-il être le seul du secteur de l'automobile à afficher des résultats et perspectives réjouissants dans cette période de marasme tous azimuts et alors que le mastodonte américain General Motors est au bord de la faillite? Mais le tableau économique dressé par un ponte du groupe japonais fut bien plus noir qu'aucun ne l'imaginait. Volontairement?


Le champion Toyota a en tout cas fait état de prévisions alarmantes après une vertigineuse chute de ses ventes et profits au premier semestre de l'exercice budgétaire, subissant durement les effets de la débâcle banco-financière sur les achats de véhicules, sur l'octroi de crédits et sur les taux de change.
"Nous n'avons jamais connu une période si difficile", a d'emblée déclaré le vice-président exécutif de Toyota, Mitsuo Kinoshita. Entre avril et septembre de cette année, le groupe Toyota Motor, qui comprend les marques Toyota, Lexus, Daihatsu et Hino,  a vendu 510.000 véhicules de moins que l'an passé à la même époque, soit 4,64 millions.
"La conjoncture est mauvaise sur tous les plans", et notamment aux Etats-Unis où le géant n'est pas parvenu à dégager de marges, c'est dire, même si sa part de marché, 17%, n'y a jamais été aussi élevée. Déduction: ses concurrents sont encore plus touchés que lui, ce qu'on n'ignorait pas.
Au Japon, ses profits ont été divisés par deux à cause là encore d'une contraction des ventes. En Europe de l'Ouest, cela ne va pas fort non plus. Seule bonne nouvelle: les achats de Toyota continuent de grimper en Russie, en Asie (hors Japon) et en Amérique du Sud (Brésil principalement).




Egalement victime de la cherté des matières premières et des variations erratiques des prix du pétrole, Toyota a sabré de plus de moitié son estimation de bénéfice net pour l'exercice d'avril 2008 à mars 2009, incapable de réaliser en totalité les économies prévues. Le groupe, qui est un des plus atteints par la hausse du yen face au dollar et à l'euro, table désormais sur un bénéfice net de 550 milliards de yens (4,4 milliards d'euros), une somme encore rondelette mais beaucoup moins que les 1.250 milliards espérés auparavant. Le géant de Nagoya (centre) a aussi taillé ses évaluations de chiffre d'affaires annuel (23.000 milliards de yens - 177 milliards d'euros -  au lieu de 25.000 milliards de yens). Il se prépare en outre à endurer une dégringolade de 74% sur un an de son profit d'exploitation, à 600 milliards de yens (
4,6 milliards d'euros), un coup dur selon lui inimaginable il y a ne serait-ce que trois mois. Et M. Kinoshita d'énumérer : la flambée des cours du pétrole et de l'acier, la crise des prêts hypothécaires "subprime", la faillite de la banque Lehman Brothers, la chute des Bourses, le bond du yen, la désertion des investisseurs... : "Où trouver la stabilité ? C'est vraiment très difficile".




"L'économie réelle, notamment celle des pays industrialisés, a été percutée par la crise financière et c'est le secteur automobile qui a été le plus durement touché", a-t-il assuré "Quelle sera la taille du marché américain cette année ? 13,5 millions ?, compte-tenu des multiples problèmes, et notamment du fait que les banques ne prêtent plus d'argent et que les consommateurs n'ont pas le moral..."
"Prévoir la sortie de crise est bien difficile, même les experts économistes ne savent pas", a encore déclaré M. Kinoshita, lequel espère toutefois que les choses redémarreront à partir de la fin de l'année prochaine.
Habitué à regarder ses ventes augmenter allègrement d'année en année en roulant sur le terrain de concurrents occidentaux, Toyota s'attend cette fois à un recul, pour la première fois en une décennie. Il se montre dès lors solidaire de l'américain en difficulté General Motors, bien que lui disputant amicalement la place de numéro un mondial du secteur. Les deux groupes ne sont pas des rivaux prêts à tout pour terrasser l'autre. Au contraire, ils ont depuis 20 ans des liens aux Etats-Unis (usine) et le japonais n'a pas l'intention de les rompre, surtout pas en ce moment.



Au final, Toyota pense écouler 8,24 millions de véhicules toutes marques confondues (Toyota, Lexus, Hino, Daihatsu) dans le monde durant les douze mois allant de mars dernier à avril prochain, contre 8,91 millions livrés au cours des douze mois précédents. Pour la suite? Impossible de le dire pour le moment. Les évaluations de ventes pour l'an prochain seront révélées en décembre, mais, a averti M. Kinoshita, "les chiffres seront sévères, cela ne fait pas de doute".
Face à cette redoutable adversité, Toyota, fidèle au bréviaire des fondateurs, veut se battre.
"On a vécu de multiples crises, on a toujours progressé et on a bien l'intention de continuer. Ces périodes sont une occasion pour opérer des changements décisifs (...), nous voulons impérativement recouvrer la croissance", a martelé M. Kinoshita.


La firme a monté en toute hâte un "Comité d'amélioration urgente des revenus et profits", structure présidée par le patron Watanabe et qui doit tout passer au crible pour trouver où et comment régénérer en interne des marges mangées de l'extérieur. "Les projets (nouvelles usines, nouveaux modèles) seront également disséqués et corrigés au besoin en termes de temps et d'ampleur", a prévenu M. Kinoshita. Si les salariés sous contrat à durée déterminée (CDD) et travailleurs intérimaires nippons risquent de faire en partie les frais de cette situation hors du commun (gel des nouveaux recrutements en CDD et non-reconduction), Toyota n'envisage en revanche pas une seconde de licencier.



Il va de plus en plus orienter ses gammes vers les modèles hybrides, compacts et ultérieurement tout électriques, en exploitant au maximum ses innombrables atouts techniques, ainsi que ses ressources matérielles et humaines.
Pas question de couper sans ménagement dans les dépenses de recherche et développement (R&D), toujours jugées cruciales, et plus encore lorsqu'il faut relever le défi aujourd'hui posé. En redéployant ses moyens, il entend mettre vite sur le marché une offre de modèles écologiques et accessibles qui collent au plus près à la demande actuelle des clients. "Ce n'est pas seulement une réaction appropriée aux changements conjoncturels, c'est aussi une politique tournée vers la croissance future", se console M. Kinoshita.


Géant emblématique du Japon, Toyota a évidemment provoqué une déflagration (cela s'est vu dans la titraille des journaux "panique, choc" et sur son cours de Bourse le lendemain, en chute).


Mais on ne peut exclure qu'il ait sciemment voulu noircir le panorama pour susciter des réactions salutaires en interne et dans des milieux politico-financiers, tant pour lui-même que pour ses fournisseurs et concurrents, tous à bord du même navire à la dérive.
 



L'histoire, la philosophie, les méthodes et processus industriels du groupe Toyota vous intéressent?

Eh bien lisez
"Les Japonais", essai (sociologie, histoire, politique, économie, etc.) paru en septembre aux éditions Tallandier.


 


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