Le pavillon nippon de 2010...
... visitez-le en avant première
« Les Japonais vivent entassés dans des cabanes à lapins », se moquait-on gaiement dans les médias occidentaux durant les années 1980, lorsqu'il était de bon ton de tordre le cou à ces envahisseurs. Suranné. Les maisons et appartements des Japonais d'aujourd'hui ne sont pas si étroits que d'aucuns continuent de l'affirmer. Les deux ou trois pièces des immeubles collectifs de Tokyo et alentours n'ont rien à envier aux appartements parisiens. Il leur manque peut-être un certain cachet. Les plus récents immeubles, qui poussent ces derniers temps comme des champignons sous la pluie, sont dotés d'un équipement ultra-moderne parfois à couper le souffle, avec vidéophone de porte, consignes à code en plus des boîtes à lettres, détecteurs et alarme d'incendie, connexion à internet par fibre optique, serrure activée par un lecteur de carte à puce sans contact, et autres fioritures sécurisantes, pratiques et tape-à-l'oeil.
Bien sûr, tout le monde ne loge pas dans ce genre de résidence, mais il n'est pas pour autant nécessaire d'être richissime pour y emménager. A noter en outre (pour faire une petite mise au point), que plus 90% des foyers japonais ont une climatisation, que près des deux tiers des 48 millions de foyers nippons sont abonnés à un service d'accès à haut-débit par ADSL, câble ou fibre optique (FTTH) et que 95% de l'ensemble est dans une zone couverte par au moins l'une de ces technologies. En 2010, 30 millions de maisonnées devraient avoir souscrit un abonnement par fibre (FTTH), en plus des millions d'autres se contentant du câble ou de l'ADSL. Par ailleurs, la taille moyenne de l'ensemble des foyers ne cesse d'augmenter et leur équipement d'origine de se sophistiquer.
On peut même avoir un petit avant-goût du futur en allant visiter la "maison-témoin" japonaise de 2010 à une vingtaine de minutes du centre de Tokyo, par métro aérien automatique. A première vue, cette bâtisse n'a rien de surprenant, ressemblant à un coquet pavillon comme tant d'autres, discret et sobrement décoré. Toutefois, de la chambre à coucher aux toilettes, ce petit chez soi est un véritable repaire high-tech.
On n'y entre pas comme dans un moulin. Un système de fermeture électronique associé à un dispositif biométrique contrôle la porte principale. Au lieu de chercher sa clé au fin fond de sa poche ou de son sac à main, l'habitant des lieux ne peut franchir le seuil qu'une fois l'iris de son oeil dûment authentifié. C'est pratique lorsque l'on arrive les bras chargés de sacs de courses, dixit une Japonaise. Une fois à l'intérieur, prière d'enlever ses chaussures, comme dans tout logis japonais.
Cette maison un brin futuriste appartient au géant de l'électronique nippon, Matsushita, plus connu en Europe pour sa marque Panasonic. Elle est bourrée du sol au plafond, de la cave au grenier, de dispositifs en cours de développement ou déjà commercialisée par l'une ou l'autre des innombrables filiales de ce groupe tentaculaire. Elle se targue d'être à la fois ultra-moderne, confortable, archisûre et très respectueuse de l'environnement.
Elle sera d'abord, paraît-il, facile à vivre du fait de son luxe d'appareils intelligents et de son "design universel", c'est-à-dire adapté à tous, vieillards, enfants et handicapés compris, grâce à de larges couloirs pour les fauteuils roulants, à un ascenseur privé ou encore à des barres de soutien un peu partout. C'est qu'en 2010, près d'un Japonais sur quatre aura plus de 65 ans. Ils sont déjà un sur cinq à avoir dépassé cet âge.
Dans la cuisine, les rayons des placards en hauteur sont montés sur des pantographes permettant aux personnes de petite taille de sortir la vaisselle et les victuailles sans avoir à grimper sur un tabouret à leurs risques et périls. Des marches amovibles automatiques sont installées devant les éviers, plans de travail et lavabos pour hisser les enfants à bonne hauteur et leur permettre d'aider maman à éplucher les légumes en étant à bon niveau. Le lave-vaisselle dégraisse sans ingurgiter des litres d'eau ou de détergeant. Le réfrigérateur devrait lire les étiquettes radiofréquences (RFID) qui remplaceront les codes barres sur les produits du commerce, pour réguler le froid en fonction du nombre et du type de produits emmagasinés, et signaler automatiquement le dépassement des dates de péremption. Ces mêmes étiquettes servent à programmer le four à courant de vapeur pour les néophytes en cuisine pas très doués pour les temps de cuisson. L'autocuiseur à riz donne les instructions en parlant, pour faciliter l'emploi par les enfants.
Dans le salon, un gigantesque écran plasma de 103 pouces de diagonale (2,62 mètres) tient lieu de "fenêtre" sur le monde. Il se pilote par le biais d'une télécommande multiusages en forme d'hexagone tactile. L'écran permet de visionner les vues prises par le circuit de vidéosurveillance interne, d'établir des visioconférences à quatre avec des membres de la famille ou des amis via une connexion à internet à très haut débit. Les correspondants communiquent par terminal fixe ou mobile. L'affichage peut être découpé en plusieurs fenêtres : programmes de TV, images des caméras alentours, pages Web, e-mail et autres sources. Il est aussi possible de suivre les rejetons sur le chemin de l'école par le biais de photos reçues automatiquement au passage d'étapes prédéfinies (gare, carrefour, etc.).
Pour les services textuels (pages internet, e-mails, guides électroniques de programmes TV…), la taille des caractères s'ajuste automatiquement en fonction des choix de la personne présente devant l'écran, laquelle est reconnue instantanément lorsqu'elle pose son téléphone portable, muni d'une puce d'identification sans contact (RFID), sur la table du salon. Un récepteur d'alerte anticipée des séismes viendra sans nul doute compléter le tout, puisque ce genre d'appareil sera disponible pour les particuliers dès le 1er octobre prochain.
Internet est présent partout grâce aux technologies sans fil et aux adaptateurs de courant porteur en ligne (CPL), système qui utilise le circuit électrique comme véhicule de données. A l'étage se trouve un "home-cinéma" avec isolation phonique de studio professionnel, système audionumérique 7.1 (sept enceintes et un caisson de basses), projecteur haute-définition et lecteur de DVD de nouvelle génération Blu-Ray. Il suffit d'une pression sur un bouton pour activer des configurations prédéfinies. Les lumières s'éteignent progressivement, l'écran descend du plafond, les rideaux se ferment. Les équipements sont à portée de main, dans un meuble spécial, et non à l'autre bout de la pièce, de sorte qu'on peut changer de DVD sans lever ses fesses du fauteuil. A côté de cette salle de cinéma personnelle, est installé l'antre du chef de famille: une pièce de télé-travail, équipée d'un système de visioconférence avec partage de documents sur un réseau sécurisé par carte à puce sans contact.
Un bouton rouge clignote à l'entrée ? Impossible d'entrer sans authentification via le téléphone portable. Matsushita a déjà mis en place depuis quelques mois un programme pour permettre à 30.000 de ses salariés au Japon de travailler partiellement de chez eux afin de mieux conjuguer leurs vies professionnelle et privée. Le télé-travail est fortement encouragé par le gouvernement, alors que les femmes japonaises, de plus en plus nombreuses à travailler, font de moins en moins d'enfants et que la population vieillit très rapidement.
Grâce au dispositif imaginé pour les années à venir, même enfermé dans son bureau à domicile, monsieur pourra mieux participer aux tâches domestiques. Lorsque les enfants rentreront de l'école, leur image viendra s'afficher sur l'écran, signalant au télé-travailleur qu'il doit mettre un terme à sa réunion d'affaires, tomber la veste et desserrer sa cravate pour enfiler son tablier de papa-poule.
Les chambres de la maison Matsushita sont aussi pleines d'électronique et de capteurs : outre un téléviseur plasma et un ensemble hi-fi, celle des parents est dotée d'un système "dormez bien", avec lit articulé télécommandable, luminaire spécifique, ambiance sonore et olfactive au moment de s'endormir et de se réveiller et système d'analyse de la qualité du sommeil. Le matin en ouvrant les yeux on peut lire le diagnostic révélé sur l'écran plasma. En cas d'inquiétudes, il est possible de pousser plus loin les examens. Les données peuvent aussi être étudiées par des médecins d'un service de télémédecine sur abonnement (cela existe d'ailleurs déjà). Les toilettes, sont à l'avenant. En plus des classiques sièges chauffants avec jets d'eau chaude multidirectionnels, pèse-personne, déodorant, et toutes une batteries de fonctions, ces WC sont auto-nettoyants et presque totalement automatisés, de sorte que l'utilisateur n'a pas à toucher le rabat avec ses mains ni à appuyer sur des boutons, par souci d'hygiène. La salle de bain est, entre autres, équipée une douche vivifiante et massante, d'une baignoire à bulles et eau parfumée, avec TV et écran de commandes tactile, et d'éclairages spéciaux pour le maquillage.
Un coin spécial sport est aussi prévu avec un ensemble de machines de gymnastique, comme les fameux simulateurs de cheval dont Matsushita a fait sa spécialité. Ils font face à un écran sur lequel est diffusé un programme spécial d'entraînement configurable, servant de coach personnel disponible 24 heures sur 24 et increvable.
Par ailleurs, comme une proportion grandissante de familles nippones risquent de devoir héberger l'un de leurs ascendants en plus des enfants, une chambre est prévue pour une personne âgée avec système de surveillance discrète (par capteurs sensoriels) et d' un bouton alarme digne d'un hôpital. Les appareils, comme la TV ou les lumières, y sont commandés vocalement. Mamie, nostalgique des tatamis et autres décors traditionnels japonais, bénéficie aussi d'une "washitu", pièce nippone, similaire à celle d'une maison d'autrefois.
Outre le fait que ce pavillon est construit à partir de matériaux écologiques et selon des procédés censés ne pas nuire à la planète, la majeure partie de l'énergie qu'elle consomme est générée localement par un système de batteries à combustible complété par des panneaux solaires. Les rejets polluants sont réduits au minimum. Ce n'est d'ailleurs pas la seule à être électrifié par une centrale de batteries à combustible. La résidence officielle du premier ministre japonais à Tokyo fut la première maison du monde à avoir adopté un tel système de production de courant. On compte aujourd'hui près de 1.300 foyers japonais ainsi équipés dans le cadre d'une expérimentation à grande échelle soutenue par les pouvoirs publics. Environ mille de plus sont prévus d'ici fin mars 2008. Le marché de ces systèmes domestiques après 2010 est estimé par le gouvernement à 550.000 unités par an. Sur les 48 millions de foyers nippons, 26 millions sont des maisons individuelles. Les groupes énergétiques Nippon Oil, Tokyo Gas ou Cosmo, associés aux fabricants de batteries et d'équipements complémentaires comme Sanyo, Toshiba, Matsushita ou le constructeur automobile Toyota, proposent déjà des appareillages domestiques éprouvés. Les premiers fournissent la ressource (gaz de ville, gaz naturel, kérosène) d'où l'on tire le combustible, c'est-à-dire de l'hydrogène. Les seconds ont développé les batteries.
Ces systèmes ne produisent pas de gaz nocif, mais uniquement de l'électricité, de la chaleur et de l'eau (l'hydrogène étant combiné après usage avec l'oxygène de l'air). Ils sont dépourvus de turbine ou de moteur et ne font donc pas de bruit. Les frais énergétiques sont globalement réduits, le surcoût lié à l'approvisionnement en gaz ou kérosène pour générer l'hydrogène requis étant inférieur aux économies réalisées sur l'alimentation secteur. En outre, l'utilisateur est informé chaque jour des quantités d'énergie et d'eau produites et consommées. Reste encore à l'heure actuelle un problème de taille: le coût d'achat et d'installation du système, estimé à 9 millions de yens (67.500 euros). L'objectif est de faire chuter le prix à un million de yens (7.500 euros) d'ici la fin de la décennie, afin de faire réellement décoller le marché, puis à 500.000 yens (3.250 euros) en 2015. Les moyens destinés à faciliter les économies d'énergie au pays du protocole de Kyoto sont d'ailleurs de plus en plus nombreux. Les Nippons se revendiquent mêmes champions du monde en la matière.
La firme Omron a par exemple conçu un ensemble matériel et logiciel baptisé "e-watching" qui permet de mesurer très simplement à distance la consommation énergétique de chaque équipement sans devoir installer une "usine à gaz" et tirer des câbles en tous sens. Pour le moment ce service est réservé aux entreprises, écoles, hôpitaux ou commerces, mais d'ici 2010, il pourrait être étendu aux particuliers, du fait de sa simplicité d'installation et d'utilisation.
De quoi s'agit-il ? D'un dispositif qui couple un système de communication sans fil et des capteurs de diverses natures pour quantifier la consommation électrique, mesurer la température, enregistrer la quantité d'eau ou de gaz utilisée et scruter d'autres paramètres énergétiques. Les capteurs sont par exemple associés au réfrigérateur, au congélateur, à la climatisation ou aux robinets. Ils adressent leurs mesures par liaison radiofréquence (RF) à un petit boîtier situé à quelques dizaines de mètres. Ce dernier intègre un module de télécommunications cellulaires compatible avec le réseau de troisième génération (3G) "Foma" du premier opérateur mobile japonais NTT DoCoMo.
Les informations issues des différents capteurs sont ainsi expédiées régulièrement à un centre serveur distant géré par Omron. Les clients de ce service peuvent à tout moment se connecter à ce serveur, via un accès sécurisé, par PC ou téléphone portable, pour consulter sur une page web spéciale les chiffres et graphiques de leur consommation, ressource par ressource, équipement par équipement, jour par jour, demi-heure par demi-heure. Ils peuvent aussi faire des comparatifs et détecter les gaspillages. Les données sont pour le moment conservées durant un an. Les enfants des écoles équipées trouvent le système ludique et jouent à faire chuter la consommation en faisant la chasse aux lampes allumées et robinets dégoulinant dans les lieux déserts.
Mariage de confort et de sécurité, de tradition et de modernité, de nature et de haute technologie, telle se veut la maison nippone de 2010. Demeure de rêve ? On vous laisse juge. Pas si futuriste ? 2010, mine de rien, c'est dans moins de trois ans.
Commentaires
Merci
Merci pour ces articles.
En France, lorsque je lis vos articles, j'ai l'impression d'être dans le futur, une autre époque !
C'est pas demain la veille qu'on aura chez nous... avec tous nos fonctionnaires qui vivent à une autre époque
alexandre - 26.06.08 à 08:58 - # - Répondre -