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par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Japon: plus longue période d'expansion économique depuis 1945...

...mais cela ne vaut pas le bon temps "izanagi keiki"

Publié par K. Poupée le Samedi 25 Novembre 2006, 23:14 dans la rubrique économie - Lu 8444 fois - Version imprimable



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Les économistes s'y attendaient, le gouvernement l'a officiellent annoncé le 22 novembre 2006: que les citoyens le ressentent ou non, le Japon traverse actuellement sa plus longue phase d'expansion économique depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.




Fin novembre 2006, cela faisait exactement 58 mois que l'embellie se poursuivait. Un mois de plus que la période la plus longue précédemment recensée qui courait de novembre 1965 à juillet 1970, soit 57 mois, baptisée "Izanagi keiki" (reprise Izanagi), du nom d'un des dieux à l'origine de la création du Japon selon les croyances shintoïstes. Depuis 1945; le Japon a connu 14 moments d'expansion.



La situation économique de l'Archipel est donc bonne, selon le gouvernement, et le redressement se prolonge, en dépit d'une consommation des ménages un peu languissante. Ce diagnostic, qui ne s'appuie pas sur les seuls chiffres d'évolution du produit intérieur brut (PIB), ne signifie pas que la croissance a été continue chaque jour durant 58 mois d'affilée, mais que sur cette durée, la tendance est restée globalement positive. Le groupe d'experts mandatés pour établir ce diganostic a notamment indiqué que son verdict s'appuyait sur le fait que l'emploi s'améliore, que les entreprises investissent et que leurs bénéfices grimpent.


En dépit de ce constat étatique réjouissant, les citoyens japonais, notamment ceux qui se souviennent de la période "izanagi keiki", sont perplexes. Car le fait est que l'actuelle expansion n'a rien à voir avec les années 1965 à 70 où la croissance annuelle moyenne du produit intérieur brut était de 11,5%. C'est durant cette faste période de l'Ere Showa que le Japon, qui venait d'accueillir les JO de Tokyo (1964) et qui préparait l'Exposition Universelle d'Osaka (1970), est devenu la deuxième puissance économique mondiale, aidé par les commandes de matériel de la part des Etats-Unis embourbés dans la guerre du Vietnam.

Par comparaison, de février 2002 à novembre 2006, la croissance était certes au rendez-vous, mais elle n'a progressé qu'au rythme de 2% en moyenne par an.
Plusieurs raisons expliquent que les citoyens fassent la moue quand le gouvernement se félicite de cette reprise.
Contrairement au boom d'Izanagi, la phase actuelle, entamée en 2002, a connu deux accidents majeurs: d'une part la guerre d'Irak en 2003, puis une diminution importante des exportations en 2004.



Par ailleurs, entre la fin d'Izanagi keiki et 2002, le Japon a traversé des périodes économiques très mouvementées. Outre les phases de reprise, il a connu les chocs pétroliers, la bulle immobilière et la soit-disant "décennie perdue" des années 90. Tout cela a laissé des traces dans le comportement des entreprises, des institutions et des ménages. Si bien que bien que temporellement dépassée, Izanagi keiki peut difficilement être qualitativement égalée.

Exemples, au temps d'Izanagi, les ménages étaient les locomotives de l'économie. C'était la période des "3C", où tous les foyers s'équipaient comme un seul homme de voiture ("Car"), de climatisation ("Cooler") et de TV couleur ("Color TV").
La reprise était forte.

Aujourd'hui, un équivalent des 3C de l'époque ne semble pas exister, même si bien sûr ce début de 21e siècle est marqué par des innovations, comme les TV haute-définition à écran plat, les appareils photos numériques ou les téléphones 3G dont tous les foyers s'équipent progressivement. Ils n'ont toutefois pas la charge symbolique des 3C d'Izanagi keiki qui marquaient un réel bond du niveau de vie des ménages. Les Japonais d'aujourd'hui sont presque blasés, ils ont tout. Tous les foyers sont climatisés, tout le monde a une voiture...




La reprise actuelle est en outre de faible amplitude. Si bien qu'elle n'est pas ressentie comme telle. Ce fait est toutefois perçu comme une bonne chose par les économistes, car "lorsqu'il n'y a pas de hautes montagnes, il n'y a pas de très basses vallées", explique l'un d'eux. Autrement dit pas de hausses soudaines de croissance, donc pas de chutes vertigineuses.





Pour éviter les erreurs du passé qui avaient conduit à la bulle immobilière et financière et à l'explosion de cette dernière, les acteurs économiques redoublent aujourd'hui de prudence. Par exemple, au moment de la bulle, les entreprises souffraient de trois excès: excès d'investissements, excès d'équipements, excès de main d'oeuvre. Aujourd'hui, elles ont une gestion plus parcimonieuse des stocks, investissent en équipements pour répondre à une demande avérée, et ne titularisent les intérimaires qu'avec prudence, tout en recrutant les meilleurs individus dans les plus prestigieuses universités.





Par ailleurs, comme cette reprise est arrivée directement après la décennie 90 marquée par des restructurations d'entreprises et une épuration du système bancaire après l'éclatement de la bulle, les Japonais échaudés, ont peur de trop se réjouir. Ils n'ont pas vraiment confiance et dépensent de façon plus rationnelle que par le passé, même s'ils sont plus consuméristes que les Français de façon générale. Ils s'inquiètent également pour leurs vieux jours et s'interrogent sur le niveau de leurs pensions de retraite, sachant que la proportion d'actifs va baisser.



Depuis 2002, même si le produit intérieur brut du japon a progressé, la somme des salaires versés annuellement à la masse des travailleurs, elle, a baissé, d'où le sentiment des foules que la reprise n'est que statistique, mais qu'elle ne se voit pas sur les feuilles de paye. D'autant que les taxes et impôts ont dans le même temps augmenté.



Enfin, la particularité la plus frappante de la cette période de reprise, c'est qu'elle s'est accompagnée de 2002 à novembre 2005 d'une baisse continue des prix au détail. Or, contre toute attente, ce phénomène appelé est négatif pour les ménages. Espérant que les prix continueront de baisser, ils ont tendance à reporter leurs achats. Si bien que les entreprises ont des stocks trop importants qu'elles n'arrivent pas à écouler. Donc elles ralentissent le rythme de production, réduisent leurs main d'oeuvre, ce qui entraîne in fine un affaiblissement général de l'économie intérieure.

Durant quatre ans, le Japon a donc vécu ce paradoxe: une dans une phase d'expansion économique modérée tirée par les exportations.

Depuis novembre 2005 toutefois, en partie en raison de l'augmentation des prix du pétrole et de ses dérivés, les prix ont recommencé à repartir modestement à la hausse.





Si l'inflation continue à un rythme modéré, la reprise actuelle a toute chance de se poursuivre. Selon les économistes, les salaires devraient en outre augmenter du fait du départ à la retraite de la génération du "baby boom" à partir de 2007 et de la raréfaction de la main d'oeuvre.





Le gouvernement espère ainsi que les ménages se remettront à consommer plus fortement, ce qui permettra de rendre la croissance moins dépendante des exportations, lesquelles sont fortement aidées par la faiblesse du yen face aux autres devises majeures que sont le dollar et l'euro.


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Commentaires

slt

merci beaucoup pour ton résumé sur la croissance économique du japon dans ces détails ! très intéressant !

Merci encore, et continue comme sa

Alek - 26.11.06 à 20:54 - # - Répondre -

pourquoi "soi-disant décennie perdue"?

  Les années 90 n'ont plus cet épithète?

dimi - 29.03.08 à 04:23 - # - Répondre -

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