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par Karyn Nishimura-Poupée, correspondante AFP Japon, avec le mangaka japonais J.P.NISHI

Qui a parlé de délocalisation???

Au Japon, on construit des usines à tour de bras

Publié par K. Poupée le Lundi 24 Juillet 2006, 18:01 dans la rubrique économie - Lu 7256 fois - Version imprimable



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Délocalisez, décolalisez qu'ils disaient, il en restera toujours quelque chose.. Tu parles Charles. Il me revient en mémoire les propos d'un patron français bien mal inspiré qui rêvait de faire de son groupe "une entreprise sans usine".




Les Japonais ont un temps mené l'expérience, dans les années 80/90 en direction de la Chine: main d'oeuvre à bas coût, l'affaire était tentante. Ils en sont aujourd'hui en partie revenus.

Désormais, si les Japonais assemblent effectivement nombre d'appareils en Chine ou dans d'autres contrées asiatiques pour l'exportation, cela ne signifie pas, loin s'en faut, qu'ils délocalisent tout. Au contraire, ils "relocalisent" parfois. De fait il se construit aujourd'hui au Japon des usines à tour de bras. Mais pas n'importe quelles usines, non, des sites de production high-tech au savoir faire hors-pair savamment protégé.
Démonstration.




Le Nihon Keizai Shimbun de ce dimanche 23 juillet 2006 nous en offre une fantastique occasion, qui affiche à la une le scoop du jour: Honda va construire une nouvelle usine pour produire des moteurs hybrides au Japon. Ce n'est jamais que le deuxième nouveau site de production mis en chantier sur l'archipel depuis le début de l'année par le troisième constructeur automobile nippon . Et le fait est qu'Honda n'est pas le seul à bâtir au Japon.



L'auteur de ces lignes, qui en tant que journaliste économique, passe le plus clair de son temps à rencontrer les dirigeants de sociétés nippones, notamment dans le domaine des technologies, s'est livrée à un petit jeu passionnant: recenser le nombre de grandes usines mises en construction par les principaux industriels nippons au Japon dans les six premiers mois de 2006: résultat de l'enquête: 20. Et assurément, il en manque.



1er constat: c'est énorme. Surtout si l'on totalise les sommes en jeu qui dépassent largement les 500 milliards de yens (3,5 milliards d'euros).
2eme constat: la grande majorité des sites en construction sont destinés à produire des composants essentiels pour des produits de haute-technologie: semi-conducteurs, verres et dalles de téléviseurs à écrans plats à cristaux liquides (LCD) ou plasma, voitures, composants d'avion en matériau composites, machines de précisions, etc...



La palme des plus gros projets du moment revient au groupe d'électronique Matsushita (plus connu pour sa marque Panasonic). Ce dernier, qui vient à peine d'inaugurer un nouveau site de dalles plasma, a annoncé en janvier 2006 la mise en construction d'un second site qui sera la plus grosse usine du monde de dalles pour téléviseurs à écrans plat plasma, pour la modique somme de ... 180 milliards de yens.




Son compatriote et concurrent Sharp l'avait précédé avec un projet de la même ampleur, toujours au Japon, pour la production de larges dalles à cristaux liquides (LCD) dites de 8ème génération. Et Sharp a d'ores et déjà prévenu qu'il allait continuer de doper ses capacités de production.



Dans ces deux cas exemplaires, il s'agit de produire les composants principaux des téléviseurs à écran plat, en l'occurrence des dalles mères de très grandes dimensions, dont les secrets de fabrication à la pointe sont aussi protégés que les technologies des dalles elles-mêmes. Hors de question donc de délocaliser la fabrication de tels composants pour éviter d'être copiés. La survie de ces entreprises en dépend presque.

L'envolée des ventes mondiales de téléviseurs à écran plat est bien entendu la raison principale de cette explosion de la production. Rappelons que les Japonais sont en effet les créateurs de ces technologies et les leaders mondiaux en la matière. De fait outre les principaux groupes du secteur, leurs sous-traitants aussi sont poussés à produire davantage. Et voilà pourquoi eux aussi construisent de nouvelles usines au Japon.




Fujitsu, Asahi Glass, Dai Nippon Screen et Hitachi High tech ont ainsi tous annoncé au cours du premier semestre 2006 la construction de nouveaux sites, qui pour produire des verres de dalles (Asahi, 80% du marché mondial), qui pour fabriquer les équipements nécessaires pour la production desdites dalles (Dai Nippon Screen, Hitachi High Tech), ou encore pour manufacturer les filtres également requis pour les écrans comme le font Unica Chemical ou FujiFilm qui érigent actuellement au total trois nouveaux sites.



L'explosion du marché des TV à écran plat n'est pas la seule qui incitent les grands groupes japonais à investir dans de nouveaux sites très haut de gamme. La même chose se produit dans le domaine des semi-conducteurs, qu'il s'agisse des mémoires flash ou des circuits intégrés à large échelle (LSI)
Toshiba et Sandisk ou Fujitsu l'ont compris qui investissent des dizaines de milliards de yens pour acquérir les dernières technologies en date et élever leurs capacités de production à la hauteur de la demande, laquelle est entraînée par les ventes croissantes de téléphones portables, baladeurs et autres objets nomades.



Idem pour les disques durs ou les écrans destinés à ces appareils. Du coup, Toshiba Matsushita Display va prochainement mettre en route un nouveau sites pour doubler sa capacité de production. Dai Nippon Screen est du coup forcé de mettre les bouchées doubles pour fournir aux fabricants de semi-conducteurs les équipements requis. D'où la encore la création de nouveaux centres de fabrication. Enfin Canon, qui rencontre un succès croissant avec ses appareils numériques Reflex, n'est pas en reste qui va inaugurer en 2007 un centre tout neuf destiné à la fabrication d'objectifs interchangeables.



S'ajoutent à cette liste déjà édifiante les usines de Fuji Heavy Industries, Kawasaki heavy Industries et Mitsubishi Heavy Industries pour la fabrication en matériaux composites du fuselage et de la voilure du futur avion long courrier Boeing 787 "Dreamliner" dont ces trois géants de l'industrie lourde nippone ont obtenu 35% de la production.



On pourrait en plus citer comme autre exemple Komatsu, qui érige pour la première fois depuis onze ans un site destiné à la fabrication d'engins miniers, ou dans un registre différent le numéro japonais des assaisonnements et édulcorants, le créateur de l'Aspartam, Ajinomoto, qui vient lui aussi de donner les premiers coups de pioche pour la création de deux nouvelles usines.

Morale de l'histoire: les groupes Japonais qui prévoient d'augmenter leurs investissements en capital de 11,3% en 2006 par rapport à 2005, n'ont pas cessé de délocaliser mais ils ne fabriquent à l'étranger que les produits aux technologies peu sensibles.



De fait, ils concentrent au Japon les composants essentiels à protéger, quitte à relocaliser des sites sur leur propre territoire. Quant aux coûts de production, ils ne sont pas nécessairement plus élevés, les gains de productivité relevant au Japon des performances des procédés de fabrication, le nec plus ultra en la matière, d'où l'importance de ne pas en laisser fuiter les secrets.
Car les Japonais ont compris une chose: le dynamisme de l'économie réside dans l'innovation, et cette dernière se doit d'être protégée.


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Commentaires

Bravo

Bravo pour ce blog (et son contenu) que je ne connaissais pas !

Herve - 25.07.06 à 01:52 - # - Répondre -

navré, pour le B 787 le Japon n'est que sous-traitant

Karyn,
dans votre emballement à nous démontrer que le Japon maîtrise les hautes technologies -- ce qui est globalement vrai -- vous en venez à oublier que les usines de Fuji, Mistubishi et Kawasaki, qui fabriquent 35% de la cellule du Boeing 787 dreamliner, ne sont pas à l'origine ni du design, ni du procédé qui proviennent du donneur d'ordre Boeing, même si les ingénieurs de ces solides firmes nipponnnes sous-traitantes ont été, selon toutes vraisemblances, associés de près à la conception des tronçons de fuselage et des ailes en matériau composite. Les Américains ont perdu là une belle occasion de garder pour eux des techniques innovantes et riches en surprises (cf. leurs ennuis actuels exportés chez FUJI qui a fourni une pièce essentielle sous-dimensionnée qui met en cause la certification) qu'Airbus va devoir affronter à son tour pour son A 350, là aussi avec des sous-traitants.
En fait, pour moi il ne peut y avoir que deux raisons à cette sous-traitance de Boeing dans un pays où la main-d'oeuvre n'est pas spécialement bon marché: 1) pour garder la clientèle captive des compagnies aériennes japonaises  2) parce que, question procédés et automatisation (gains de productivité) les japonais ont eux aussi un fort potentiel dont les Américains ne pouvaient sans doute pas se passer pour essayer de gagner leur pari fou du "dreamliner" qui, j'espère pour eux, ne devriendra pas le "Nightmare-liner".
J'ai toujours plaisir à lire votre blog.

PS: N'oubliez pas d'aller enquêter côté FUJI et MISTUBISHI Heavies. Les Européens sont aussi des fondus de hautes technologies. Nous ne nous laisserons pas manger les bras croisés

francoyv - 21.04.08 à 03:05 - # - Répondre -

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